#5160

Mi octobre dernier, une librairie d’imaginaire s’est ouverte à Bordeaux, dirigée par ma chère amie Nathanaëlle. Ce local qu’il nous a été possible de louer, au 20 rue du Mirail, en bas de l’hôtel de la Perle (ou hôtel Saint-François), j’avais déjà une longue histoire avec lui. D’abord, j’avais brièvement fait un stage dans la librairie anarchiste qui, au mitan des années 1980, se tenait en ces lieux. Et j’avais visité plusieurs fois cet étonnant immeuble, au point que révisant ma vieille nouvelle « Un ange sur le banc » pour une revue qui me l’a demandée, j’y retrouve avec amusement cette description :

« Nous nous promenions rue du Mirail, lorsque j’avisai un porche. Un escalier montait dans un vieil immeuble. La puissance de l’impression de déjà-vu me fit frissonner. Nous grimpâmes l’escalier obscur. S’ouvraient d’un côté la porte d’un hôtel, de l’autre une minuscule cour moussue. J’étais abasourdi : je connaissais ces lieux, mais pas pour les avoir visités dans ce monde, non. Je redescendis les marches quatre à quatre, suivi par mon ami passablement médusé, puis contournai l’angle de l’immeuble. Là, sur une rue étroite, s’élevait la façade colossale de l’hôtel, pyramidale, ornée de statues rongées par l’âge, son rez-de-chaussée condamné. Peu importait son état ; le même hôtel s’élevait dans une des villes de mes « visites », pas très loin de chez Pierre-Jean l’Érudit. Le même hôtel : menaçant ruine dans cette petite rue Saint-François de Bordeaux, blond et imposant de l’Autre Côté. Un ami de Pierre-Jean habitait dans la petite cour, derrière la porte bleue ouvrant sur la mezzanine… Fugitive, l’envie me vint d’aller y frapper. Je me retins, réalisant l’absurdité de ma situation. Dans la réalité, ici et maintenant, les habitants de l’immeuble me seraient inconnus. »

#5159

« C’est comme un vide intérieur qui ne se fait pas sentir les autres jours de la semaine, grâce à la vie plus mouvementée, et qui le dimanche devient soudain sensible et angoissant, comme une question à laquelle personne ne peut répondre ». (Georges Simenon)