#6136

Hier matin je me suis réveillé comme je venais de rêver d’un ancien camarade de fac, qui m’expliquait ce qu’il avait fait depuis – sauf qu’il semblait être encore dans la trentaine, tant il est vrai que je ne me rêve jamais vieux. En ouvrant les yeux, j’ai pensé « Pierre », me souvenant soudain de son prénom, et dans le même élan j’ai réalisé que ce camarade n’avait jamais existé. Restant couché encore quelques minutes, je me suis rendu compte que ce Pierre imaginaire brassait des souvenirs épars de quatre garçons différents – dont trois se prénommaient effectivement Pierre, je crois. Puis repensant à ce rêve, où je me promettais maintenant que j’étais de retour à Bordeaux d’aller revoir d’anciens lieux de mes études, j’ai compris avoir pour de bon fait un retour : pour la première fois en plus de 10 ans que je suis revenu vivre à Bordeaux, je venais… de revenir à Bordeaux, mais l’autre, celui des songes de villes que je faisais autrefois, à Lyon. Ces lieux dont je me souvenais et que je me promettais de revoir n’existaient pas, eux non plus : ils appartenaient au paysage de ces rêves urbains récurrents qui un temps occupaient mon imaginaire nocturne. Je les ai bien reconnus. Me voici donc enfin de retour à Bordeaux – des deux côtés du réel. Une forme de réconciliation.

#6125

Fort mal dormi la nuit dernière, les orages tournaient, partaient, voguaient, cognaient, grondaient, et la pluie revenait sans cesse, crépitante ou hésitante. Chaque fois je me disais que c’était excellent pour le jardin, tout ce ciel déversant son eau en grand qui m’éviterait un arrosage matinal. La chaleur, le vent, le bruit, difficile de plonger profond dans le sommeil. Et dans les rues, quelques heures auparavant, les parfums du jasmin et du tilleul exacerbés par la moiteur devenaient presque intoxiquant.

#6119

Dans les rues bordelaises, le jasmin a gagné la guerre du parfum printanier contre le chèvrefeuille — ce dernier s’est fait plus discret depuis l’an passé et les flots d’étoiles blanches infusent comme jamais nos artères de leur saveur verte et douce.

#6102

De curieux fruits poussent dans le tout neuf quartier d’à côté, sorte de grise et haute dystopie urbaine que ne dépareillent pas ces baies toxiques. Dimanche en dépit de mon problème au talon, et au défi de la tempête qui continuait à souffler et grommeler, une copine me persuada de mettre le nez dehors pour une petite exploration de cette zone moche, avec d’abord une grimpée jusqu’à un « rooftop » venteux et pisciné pour instagrameurs, puis jusqu’au nouveau pont, un tronçon d’autoroute posé en travers du fleuve. Cupidité immobilière et médiocrité architecturale se donnent la main pour hâter ces lieux et la crise les obligent à ne pouvoir finir certaines de ces sottes bâtisses, qui tendent leur ferraille au-dessus de murs en parpaings comme dans un paysage sicilien.