Je lis Cold Blood de Richard Kerridge, à la fois recueil de souvenirs, essai de science naturelle sur les reptiles et amphibiens, et réflexion plus générale — de l’intime au général, comme le fait le meilleur du « nature writing ». Et cela me fait remonter à ma mémoire un épisode de ma petite enfance, lors d’un séjour à Nantiat, dans la grande maison familiale avec un parc. Avec mon cousin Philippe, nous avions trouvé un crapaud, l’avions posé dans une bassine en plastique jaune. Et là, quelle idée ! Nous avons conçu le plan d’aller montrer notre crapaud à… Mémé ! Laquelle demeurait pour nous une figure mythique : extrêmement âgée (elle mourut à 103 ans), se tenant dans sa chambre tout en haut d’un escalier forcément immense pour les petits d’homme que nous étions, chez sa fille Tante Marthe, nous ne l’avions jamais vue. Pourquoi, comment, nos petites têtes firent-elles association si étrange entre la curiosité de voir un crapaud — la vie animale n’est-elle pas toujours fascinante pour les enfants ? — et le prétexte pour enfin voir la mystérieuse Mémé ? Passant par la porte du parc qui ouvrait dans le jardin de Tante Marthe, nous eûmes tôt fait, observés par aucun grand, de grimper l’escalier de la haute demeure et de pénétrer, intimidés mais enjoués, dans la chambre de Mémé. Regarde, regarde ce que nous avons capturé ! Et la très vieille dame, menue et sèche dans son lit, de rire de ces deux petits mômes soudain surgis dans son univers, de la bassine jaune et de son contenu perplexe.
Archives de catégorie : journal
#2407
Il m’avait semblé ce matin, dans un demi-sommeil, avoir entendu un chant de coq. Ma foi, oui : quelqu’un dans le quartier a de nouveau des poules, je viens de les entendre haut et fort. C’est bien, ça manquait un peu. Avec les cloches d’église à l’instant, mon paysage sonore prend une amusante tournure rurale.
#2403
Le silence de l’été. La plupart des oiseaux font la mue de leur plumage et se cachent, sans un bruit. Ne restent que quelques rares pépiements de moineaux et les roucoulements des tourterelles, qu’accompagnent leurs claquements d’ailes. Des bourdonnements d’insecte, aussi, parfois. Et le babil indistinct d’un téléviseur, loin, bas, dont se reconnaissent à peine l’idiotie d’un soap dominical ou d’un commentaire sportif.
#2402
La plage, l’océan, quels éléments nous lient si intimement que chaque été fait remonter à ma mémoire quelque bribe de Saint-Brévin, le paradis balnéaire de mon enfance ? Si je fais un effort pour me souvenir, il me semble que la confrontation d’un petit môme à un tel environnement constituait souvent un parcours d’obstacles : les hautes dunes pour tout horizon, la difficulté à avancer dans le sable, la piqure des feuilles bleutées froissées au bord du caillebotis, les brisures de coquillages formant la frontière entre sable sec et sable mouillé, la gifle du vent… Pourtant, tout cela forme un patchwork d’impressions plutôt plaisantes, de menus exotismes que dominent les châteaux : ceux que nous construisions dans le sable, avec pelle et seau, pour le plaisir d’y voir se glisser l’eau salée, pour l’excitation de suivre le travail inexorable de la marée. Finalement l’unique contact avec une nature indomptée, impressionnante en dépit du confort familial. Et tandis que ce soir d’été bordelais les hirondelles tournent en sifflant dans l’air encore chaud, je repense aux vagues, au bruit des vagues.
#2401
Les impatiens avaient soif, hier soir. Alarmé par le bruit du tuyau d’arrosage, le pinson interrompit son babil tournoyant pour invectiver ma mère en une série de percussions sonores. Plus tard, dans la nuit, j’entendis les longs piouh-ouh-ouh d’une chouette.
À la lisière de l’ombre, dans le soleil de l’herbe un miroitement, une hésitation du réel. M’approchant je vois que cette motte de trèfle tremble d’éclats de lumière, portés par la noire densité d’une presse de corps minuscules. Un nid de fourmis volantes, en pleine éclosion. Leurs ailes comme autant de minuscules échardes de miroir, tout cela tressaute, tremblote, avant de s’élancer dans une danse menue qui monte contre l’ombre en un poudroiement vertical.