#2400

A l’entrée du sous-bois, les virgules velues tombées des châtaigniers forment des graffiti sur les larges pages vertes des fougères, dans un alphabet que seuls les moustiques peuvent déchiffrer, peut-être.

Des sentiers étroits comme un seul pas d’homme creusent le terrain crayeux, sinuant dans un paysage dont les bruyères gomment les tourments sous un tapis vert et mauve, bourdonnant et grémilleux. Événements dans cette lande, çà et là se dresse une silhouette verticale, celle d’un petit chêne, d’un châtaignier tordu, d’une bourdaine dentelée de baies rouges, les balais épineux des ajoncs. Une senteur de sable s’élève, quelques digitales oscillent leurs cloches silencieuses. Je ne reconnais plus rien de « mon » camp des Romains, autrefois plus ouvert, les talus s’y lisaient clairement, les affleurements calcaires déchiraient une végétation rugueuse et clairsemée, que le travail des chèvres tenait en respect. L’antique plateau désormais adouci par les bruyères ne se ressemble plus, mes repères ont disparu, ce trou d’eau bordé d’une plage d’herbe trop verte est-il celui où je venais épier dytiques et salamandres? La nature a redessiné ce paysage de mon enfance.

#2396

Je suppose qu’il y a plusieurs sortes d’écrivains… Ceux qui aiment écrire ; ceux qui aiment avoir écrit ; et ceux qui aiment être un Auteur. Pour ma part je ne risque guère d’appartenir à la dernière catégorie, vu que l’on ne considère pas tellement les essayistes et que mes fictions jusqu’à présent furent plus ou moins des échecs commerciaux. Que j’aime écrire, ça c’est une certitude — je n’arrête pas, d’ailleurs, au point d’avoir plusieurs romans dans mes tiroirs et de « pondre » des petites choses en permanence, comme peuvent le constater les compatissants lecteurs de mon blog. Mais j’aime également avoir écrit : ah, la satisfaction d’avoir achevé un livre. Bon, ladite satisfaction provient en général d’une impression illusoire car le plus souvent un livre n’est pas réellement, n’est jamais complètement, fini. M’enfin qu’importe, laissez-moi mes illusions, hier soir j’étais très content car je venais de finir un livre. Mes relecteurs ne tarderont pas à le mettre en pièces et sa publication demeure actuellement une simple hypothèse, mais quand même, eh. J’ai fini un livre. L’illusion est agréable, au moins.

#2395

Hier en rentrant d’une soirée, je me suis arrêté un instant au-dessus des voies du chemin de fer, pour écouter les grillons. Et je me suis dit que quelqu’un ignorant que ce sont ces petits insectes qui émettent ce crissement cadencé, pourrait peut-être penser qu’il s’agit d’un bruit électriques émis par les caténaires.

#2394

Un peu d’insomnie. Les yeux fermés et les oreilles tendues, j’écoute ce que la nuit peut bien raconter. Mais elle ne s’avère guère bavarde, dans cet environnement citadin il n’y a ni criquet ni grillon (ces derniers se trouvent dans le pierré du chemin de fer et leurs percussions acides ne me parviennent pas), non plus qu’hiboux ou chouette, encore moins crapaud ou grenouille. Le glissement de l’escargot, le pas de la fourmi, le tissage de l’araignée, le vol de la phalène, ne font aucun bruit. Il n’y a que le long grommellement d’un moteur sur le boulevard, une moto dans le lointain, le silence surtout, un instant le feulement de roues sur l’asphalte, le grand calme nocturne d’une ville de province. Un train passe, houle urbaine, je me laisse emporter par le roulis des vagues, le visage caressé par la fraîcheur.

#2393

Lorsque le soleil ne joue pas les grands spectacles de rose et de rouge, là-bas, au-dessus de l’échancrure ferroviaire, la tombée de la nuit estivale ressemble plutôt à une levée : celle du bleu qui, après le blanc métallique ou le cuivre translucide de la fin du jour, passe au grand cobalt et, nuance après nuance, prend des tons plus absolus, plus profonds. Mais il suffit que je détourne le regard un moment et subitement, tout est sourd, il ne reste qu’un éclat avant que l’on bascule dans cette nuit qui couvre la ville d’une glaise rougeâtre.