#2320

C’est chez mes amis Mauméjean que j’ai vraiment noté pour la première fois la pratique d’avoir des bibliothèques bien définies : tel type de livre ici, tel autre type là-bas. Et cela me frappa comme une évidence, mais dans mon appartement lyonnais, l’espace n’était pas suffisant pour permettre des classements assez précis, des espaces assez définis, quoique bien sûr les BD étaient toutes réunies dans le couloir. L’un des projets de mon rejuquage* dans une maison basse typique de Bordeaux, ce que l’on nomme une « échoppe », était de mieux définir ces espaces de bibliothèques, puisque je vis dans (et par) les livres. Et avec l’installation récente de quelques étagères de plus, je pense être parvenu à réaliser cela : une maison de livres, bien rangée, ou tout au moins, rangée à ma propre satisfaction.

Ainsi ai-je réuni dans le bureau tous les romans, à l’exception de la jeunesse. Sur le mur le plus long, l’ordre alphabétique regroupe SF, fantasy, fantastique, littgen… Ainsi par exemple David Calvo, Albert Camus, David Camus, Richard Canal et Mike Carey se côtoient en rangs serrés. Dans l’angle, s’étagent les biographies et, en bas, les essais sur les litt de l’imaginaire. Sur l’autre mur, les étagères noires regroupent le polar et la litt populaire, essais compris, en double épaisseur + ma collection de livres sur Londres et l’archipel britannique.

Dans le salon, je vis au milieu des BD, littéralement, et en hauteur mes collections de Mickey Parade et autres picsouteries ont rejoint toutes ces images en cases. Livres d’art çà et architecture là, une colonne de poésie et de psychogéographie, une colonne de « nature writing ». À l’étage, une table de nuit pleine des ouvrages sur la nature et une chambre emplie de la littérature jeunesse, l’enfantina de toutes époques + un gros tas de mangas. Et je continue à aimer cela, tout le temps : ranger mes livres, les réorganiser, les apprécier, avoir autour de moi toute cette vie de papier.

*verbe tourangeau signifiant « se poser de nouveau ».

#2319

Back home, de retour d’un doux week-end à la campagne, à essayer de ne pas penser qu’à l’horreur. Il faisait beau, j’avais fait une conférence devant 7 personnes (ooooh), il y avait des chats, il y avait des étangs (poissonneux, me dit-on), il y avait des ruines (les restes d’une superstition ancienne), et on a mangé plein de plats traditionnels de la Mayenne (une belle région sans doute méconnue de vertes collines, située à la frontière entre la Normandie et la Corée).

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#2310

Un plaisir du dimanche bordelais : revenir du marché avec une douzaine de bulots et les déguster au déjeuner. Lorsque j’avais quitté Lyon, moqueur mon camarade Ivan prétendit se répandre en commisérations, pour celui qui quittait la capitale de la gastronomie, pensez donc, pauvre de moi ! Eh bien tu parles. Au lieu du gros saucisson à la moutarde et des quenelles pâteuses, aujourd’hui j’ai changé d’alimentation et j’apprécie avec plaisir les aoxas, la piperade ou les chipirons, le poivron-piment long d’Arcachon, du poisson (alose! lamproie!), du canard, sans parler du fait qu’ici l’on trouve sans problème du Saint-Maure de Touraine (fromage de chèvre) et qu’il y a sur le marché de Bègles une vendeuse de steak haché de cheval et de saucisson fumé de cheval (j’adore ça, n’en déplaise à un certain politiquement correct alimentaire — pour moi ça a un goût d’enfance). Quant à la « cervelle de Canuts », ah ah, ici cela se nomme du greuil, ça vient du Béarn et il y en a également de temps en temps chez un fromager du marché de Bègles.

#2309

Il s’agit d’une très vieille question philosophique : en dehors de moi, le monde existe-t-il ? Si je ne suis pas parvenu à aller à Montélimar ce week-end comme je prévoyais de le faire, est-ce un simple concours de grèves et de circonstances, ou bien plus sérieusement la mise en place de tout le décor de Montélimar s’avéra-t-il trop lourd, trop compliqué, et en conséquence la réalité préféra-t-elle dans un mouvement de flemme (une grève, mais du réel) me cantonner à mon environnement habituel ? Parfois lorsque je descend chercher mon pain du matin, je m’interroge : les gens se ressemblent-ils tous, ou bien n’y a-t-il en réalité qu’un nombre fini et assez limité de figurants ? Tout à l’heure par exemple, j’ai croisé un J., une L., une F. et même, modèle beaucoup plus rare, un Eddy Mitchel. C’est tout de même étonnant, cette adhésion de tant de gens à des « types ». Je subodore un vaste complot.

#2306

Ces derniers jours j’étais patraque, rien de grave, juste une petite crise de mon problème de digestion chronique — peut-être avais-je consommé du glutamate sans le savoir, enfin bref. Ce matin, après pourtant une nuit passablement blanche, je me suis levé étonnamment gaillard. J’ai donc décidé d’aller me promener un peu, en tentant une idée que j’avais eu. C’est fou ce qu’un simple billet de bus peut vous conduire loin. Car voyez-vous, la marche à pieds c’est bien, le vélo c‘est chouette, mais je ne peux explorer aussi loin que je le voudrais mon environnement bordelais, tout de même.

J’ai donc rejoins le bus 91, sur l’autre rive, et l’ai pris… jusqu’à son terminus, à Ambès. Le but étant de voir comment c’est, tout au long du fleuve… Et je ne suis pas déçu : intéressant de voir comment la ville cède vite la place à un long balbutiement entre ruralité et industrie, ici les ziggourats d’engrais et de pétrole, ici les prés et les blés, quelques villages et beaucoup d’espace naturel, tandis que l’eau enfle, s’élargit, ample Garonne qui descend vers sa confluence avec la Dordogne. Çà et là des panneaux rappellent le contexte fluvial, « Cale de mise à l’eau », « Voilerie de l’estuaire », « douane pétrolière »… Toute la rive se piquette de cabanes perchées, sauf dans les zones véritablement portuaires, où j’ai vu un beau tanker orange vif amarré auprès des hauts zigzags de passerelles en ferraille et des grandes grues. Après un curieux cimetière de caveaux pyramidaux alignés en rangs serrés, le terminus s’avère une déception, Ambès n’est qu’une bête banlieue sans âme, les pavillons alignés comme les tombes précédentes, aussi vivants. Une banlieue de rien, l’extrémité de cette terre n’est que zone industrielle. Et le bus 92 ne coïncide pas, j’espérais rentrer par le bord de l’autre fleuve, tant pis, je fis le retour comme j’étais venu, voyant d’autres choses, observant les yeux bien ouverts ces paysages du lointain bordelais, à la fois anodins et poétiques.

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