#2463

Fan comme je le suis à la fois de la fantasy urbaine et de l’histoire des littératures du merveilleux, je ne suis pas peu heureux d’avoir donné cette semaine à l’imprimeur les fichiers de Sombres cités souterraines de Lisa Goldstein, qui sort aux Moutons électriques en janvier, traduit par mon excellent camarade Patrick Marcel. Un superbe roman qui part du constat que j’ai fait plusieurs fois dans le Panorama, celui d’une singularité de la fantasy dans le fait que pas mal de ses chef-d’œuvres proviennent d’un récit fait par un adulte à un enfant. Dans le comics Unwritten, Mike Carey a travaillé sur une idée semblable, le thème est très riche et intrigant.

« Vous savez ce que je crois ? reprit Ruthie. Vous dites que vous avez déjà vu ça. Je crois que votre mère avait raison – je crois que vous lui avez vraiment raconté ces histoires – mais à présent, je me demande si vous avez été le seul. Il y a une tradition d’adultes qui inventent des histoires pour les enfants, mais peut-être… Peut-être qu’ils ont tous débuté comme votre mère a commencé ses livres, peut-être que c’était en fait les enfants qui ont raconté ces histoires aux adultes. Le point de vue établi veut que Lewis Carroll – Charles Dodgson – ait inventé ses histoires pour Alice et ses sœurs, et que J. M. Barrie ait conté ses récits à cinq jeunes frères, dont l’un se prénommait Peter. Mais si ça s’était passé dans l’autre sens ? Si différents enfants, à différentes époques, étaient tombés par hasard sur cet endroit – ce Monde en Bas – et avaient essayé de l’expliquer à un adulte ? Et vous voyez : les aventures d’Alice se passent sous terre – c’est même le titre d’origine : Les Aventures d’Alice sous terre. Et les histoires de Barrie parlaient d’un endroit qui s’appelait Neverneverland, le Pays Imaginaire – peut-être que le nom dérive de Nether Land. Et pourquoi pas Le Vent dans les saules ? Il y a là un personnage qui s’appelle Taupe, et Kenneth Grahame a inventé les histoires pour son fils Alastair… »

#2462

Comme bien souvent, des envies de Londres me taraudent, que je ne saurai hélas concrétiser de sitôt. Et relisant avec délice le premier polar de Dorothy L. Sayers, Whose Body?, il me revient en mémoire une journée de décembre 2011 où alors que je m’étais lancé à la recherche des différents logis de James Bond et d’Agatha Christie dans Londres, j’avais traversé la Tamise afin de me rendre dans Battersea, sur une impulsion, vaguement sur la trace de cette première enquête de Lord Peter Wimsey. Je me souviens en particulier d’avoir eu la témérité de vouloir traverser Battersea Park. Si l’environnement urbain est dur — pierre, béton, brique, macadam — que dire de la nature? Sitôt entré dans le parc, je réalisai que la température venait de chuter de plusieurs degrés. Et alors que j’avançai sur un chemin, le froid monta brutalement dans mes jambes, me pénétrant jusqu’aux os. Les ombres s’étiraient en lames bleutées et le sol se barbouillait de boue. Impossible de tenir : je regagnai précipitamment le bord du parc et le trottoir extérieur, avant que de virer à un beau bleu schtroumpf. Tout de suite, la température redevint supportable. Il fit particulièrement beau, ce jour-là, je conserve le souvenir de cette lumière tendre et fragile sur Chelsea, glaciale et coupante sur Battersea, puis de nouveau chaude et rasante sur Pimlico.

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#2457

J’ai lu le Spirou de Frank Pé et Zidrou. Graphiquement, ça se cherche un peu trop, aucune synthèse n’est faite entre un Spirou super mignon, d’autres perso qui hésitent tout le temps entre réalisme et caricature, et même certains (les journalistes sur l’écran) qui retrouvent l’anguleux des débuts de l’auteur, qui a vraiment perdu la grâce de ses premiers Broussaille. Le résultat est d’une esthétique passablement bancale, pas aboutie. D’autant que le scénario ne semble pas fini non plus, brouillon pour ne pas dire bâclé : c’est quoi ce plan avec les champignons noirs, développé puis abandonné sans explication ?

Et bien entendu, les auteurs cherchent à caler ce pauvre Spirou avec une fille à la fin de l’histoire, ça devient vraiment une rengaine, ça — bon sang que j’en ai ras-le-bol de tous ces bédéastes hétéros bornés qui se croient absolument obligés d’ajouter un rapport amoureux à la femme. Il y a pourtant quelques jolis efforts ici, quelques allusions sympas, comme les conseils de Champignac au couple Fantasio – Spirou, ou la gamine qui voyant Fantasio demande à Spirou si c’est son mari — mais les auteurs ont cru nécessaire d’ajouter un Spip hilare à l’idée que Fantasio soit traité de « mari », eh bien quoi, c’est une insulte, « mari » ? Sans cette demi-case insultante le propos aurait été pour une fois un peu ouvert, mais non, on retombe toujours dans des ricanements homophobes. Bref, un album dont le dessinateur n’est à l’aise ni dans son style ni dans son propos.  Un album de trop ?

#2455

La photo maintenant traditionnelle de ma pile de lecture du mois écoulé… J’en oublie peut-être, comme à chaque fois. Et s’y ajoutent des livres numériques, à savoir de lectures de vieux polars, en VO ou en VF de chez e-Baskerville… De mémoire, un Richard Marsh, deux Louis Tracy, un AEW Mason, un Grant Allen…

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#2454

Je disais tout à l’heure à un ami que la vie est trop courte pour lire des maxi énormes pavés… et en fait, ce week-end j’ai relu un petit polar déjà lu deux fois, si c’est pas de la perversité… Il s’agit de The Red House Mystery, l’unique roman policier d’A. A. Milne (l’auteur de Winnie), datant de 1922. Et je me suis interrogé… Ai-je inventé le fort sous-texte gay que j’y ai vu distinctement, cette fois? Ou bien est-ce que j’interprète mal une amitié masculine de ces années folles? Mais enfin, la manière qu’a le brillant Tony, le détective amateur de cette histoire, de tout le temps saisir les mains de son copain Bill, son naïf et enthousiaste Watson, de le prendre par le bras, de partir avec lui bras dessus bras dessous… Et sa combine pour pousser Bill à se mettre nu, alors que Tony pouvait tout aussi bien plonger dans le lac lui-même? Et sa façon de mettre Bill dans son lit, à la fin, plutôt que de lui prendre une autre chambre à l’auberge? Même le coupable de lui dire de « take care » de Bill, dans sa lettre finale… Enfin, la tristesse de Tony lorsqu’il découvre que Bill va le quitter pour revoir tout de suite son actrice… Anyway, I prefer to read it like that, really.