#2945

Marchant dans la douceur du soir et par les rues à peine teintées de rose sous le ciel d’un bleu sombre, je me persuaderais presque que le désordre du monde n’atteint pas la tranquillité sud-bordelaise. Illusion certes, et sans même songer aux couteaux qui jaillissent du côté de la gare, le passage trop rapide d’une voiture où boum-boum l’agression vulgaire et scandée d’un gangsta-rap remet bien vite en mémoire un certain culte de la malveillance – mais je continue du même pas et, canne en main, poursuis mon chemin.

#2943

La nuit dernière, je me suis réveillé soudain. Non pas alarmé, simplement éveillé et me demandant pourquoi. En bas, dans le faux plafond des toilettes, les hôtes mystérieux — merles, peut-être ? — grattaient plus fort que d’ordinaire, les imprudentes et impudentes bestioles, serait-ce ces sots grincements qui me tirèrent des bras de Morphée ? Je restais un moment à écouter plutôt les bruits nocturnes de la ville, ayant profité d’un redoux pour entrouvrir le vasistas. Las, la nuit s’avéra si silencieuse, grommelant à peine, que je repris le roman en cours et en lu un grand pan supplémentaire — il s’agit du Piranesi de Susanna Clarke, nouvelle pierre (ah ah) à l’édifice des fictions de maisons géantes. Vertigineux, un peu inquiétant, et j’ai maintenant dépassé le point où la nature de cette fiction change, où l’on réalise quel est son rapport au réel, cet espèce de Gurdjieff qui… Mais non, pas de « spolier ». Roman remarquable en tout cas, étrange et prenant.

#2942

Début d’automne, entre moiteurs, chairs de poule et pluies soudaines. Bordeaux retrouve le climat que je préfère : il fait beau plusieurs fois par jour. Le virus vibrionne hélas de plus belle et la vie sociale se délite de nouveau. Le « présentiel » balayé aussi vite que les nuées par ce vent de tempête, je passe mes jours sur Skype et Slack, ou bien au bout du fil, et même mes promenades vespérales se font le masque sur le nez, dans la lumière qui diminue.

#2941

Hier soir le ciel était en flammes, comme en célébration d’une dernière soirée d’été avant la soudaine arrivée de l’automne. Je suis resté un bon moment à admirer les effets de lumière, comme on le ferait d’un tableau — les étagements de nuées incendiées, celles d’un bleu sombre les mettant en perspective, les rayonnements roses… Bref, la cellule de mon téléphone ne pouvait rendre justice à tant de luminosité, grillée par trop de feu solaire, et au bout d’un moment j’ai fait quelques pas dans la rue, jusqu’à tomber en arrêt devant un spectacle de fantastique, une maison hantée très certainement.