#2943

La nuit dernière, je me suis réveillé soudain. Non pas alarmé, simplement éveillé et me demandant pourquoi. En bas, dans le faux plafond des toilettes, les hôtes mystérieux — merles, peut-être ? — grattaient plus fort que d’ordinaire, les imprudentes et impudentes bestioles, serait-ce ces sots grincements qui me tirèrent des bras de Morphée ? Je restais un moment à écouter plutôt les bruits nocturnes de la ville, ayant profité d’un redoux pour entrouvrir le vasistas. Las, la nuit s’avéra si silencieuse, grommelant à peine, que je repris le roman en cours et en lu un grand pan supplémentaire — il s’agit du Piranesi de Susanna Clarke, nouvelle pierre (ah ah) à l’édifice des fictions de maisons géantes. Vertigineux, un peu inquiétant, et j’ai maintenant dépassé le point où la nature de cette fiction change, où l’on réalise quel est son rapport au réel, cet espèce de Gurdjieff qui… Mais non, pas de « spolier ». Roman remarquable en tout cas, étrange et prenant.

#2939

Ne m’habituant pas encore tout à fait aux jours plus courts, je viens d’arroser les plantes dans l’ombre encore épaissie par la loupiote jaunâtre qui oscille au coin de la cuisine. Lorsque le bruit de l’eau s’est tu, celui de l’horloge Spirou, au-dessus des pots de thé, a soudain résonné plus fort, bien distinct comme le sont souvent ces tic-tacs la nuit, alors que muets le jour. L’une de mes deux lectures du moment se trouve en écho avec cette obscurité de fin d’été : un Jonathan Stagge de 1949, Le Cercle écarlate, aimable vieux polar américain se déroulant surtout de nuit. Ambiance de douces ténèbres.

#2930

Au lycée, j’ai eu en classe de première un prof passionné de Giono, qui nous fit notamment lire un de ses romans tardifs, son dernier paru de son vivant en fait : L’Iris de Suze (1970). Ce fut un bonheur : je ressentis une véritable exaltation à grimper dans la montagne provençale avec le personnage, à me perdre avec lui en bordure d’une civilisation que l’on aurait dit atemporelle et peut-être post-apo – je ne fus pas le seul à avoir ce ressenti sci-fi de Giono, Claude Auclair l’adapta en bédé pour débuter son cycle de Simon du Fleuve, avant que le lumineux Michel Crespin s’inspire de même pour le cycle d’Armalite 16, et lorsque j’eus l’occasion de lui rendre visite il vivait dans une de ces montagnes-là (fin de la parenthèse) – et quant à son style, si naturel, si gouleyant, il me fut une révélation dont je ne me suis jamais remis. Je me souviens d’avoir passé le bac de français aisément, avec un prof au physique identique au mien et en lui parlant de Giono ; je me souviens d’avoir passé un été fasciné par les premiers romans de Giono, ceux des années 30, de son explosion, cette même inspiration païenne, provençale et lyrique à laquelle il ne revint qu’avec son ultime roman ; un été marqué par Regain, Collines, Le Chant du monde… et plus tard, avoir écrit une novella, « Vent du Sud », que je polit et réécrivit tant de fois, m’efforçant de trouver une miette de cette exaltation – jusqu’à une parution en anthologie, puis son inclusion dans un roman qui fait partie de cet « Ariel » dont je parlais l’autre jour. Et Giono, je n’ai plus cessé de le lire – enfin le croyais-je, jusqu’à ce qu’en ayant discuté avec mon adjoint, je réalise que cela faisait déjà, quoi ? Presque dix ans ? Alors je relis L’Iris de Suze depuis quelques nuits, et je m’émerveille d’y retrouver intact ce souffle, cette beauté, l’exaltation joyeuse de lire Giono.

#2904

J’écris, quatrième nouvelle achevée à l’instant et déjà l’idée d’un roman pour achever le cycle Bodichiev. J’écris, et de ce fait peut-être, je lis énormément de bédés ou de comics, mais niveau prose picore plutôt que ne dévore. De ce côté-ci de la mer de Gianmaria Testa, si court et si beau recueil paru au Sonneur. Cette brume de la mer me caressait comme un bonheur de Maupassant, anthologie d’articles et journaux sur ses voyages méditerranéens. La Femme fardée de Françoise Sagan, comédie cruelle et limpide d’un huis-clos en mer, presque un polar, conseillé par Dominique Douay. Vol de nuit de Saint-Exupéry, limpide également, conseillé par Michel Pagel. Voyage en Italie de Giono, comme son titre l’indique. La Côte barbare de Ross MacDonald, mélancolique et toxique, polar californien empli d’images photographiques et d’atmosphères mémorables. La Presqu’île de Gracq, deux longues descriptions de paysages, fragments de son grand roman de fantasy inachevé.