#520

Hier le jour s’est tôt achevé dans un écroulement de gris sur gris, les toits se fondant dans un nocturne à la Whistler. Aujourd’hui, la blancheur des nuées basses couve des crachins irritants & la fumée de la boulangerie s’étale en brouillard jusqu’à gommer les tuiles vernies d’humidité. C’est d’un fog à la Monet que la ville a emprunté le manteau, tandis que le grésillement d’une goutière rythme mon humeur maussade.

Au dehors, conversation, « Et pis j’lui dis quoi tu me cherches, tu m’insultes maintenant? » — chaque fois que je capte des bribes de discussion entre beurs il me semble qu’ils ne passent jamais leur temps qu’à se relater & mettre en scène des conflits. Une grande gigue au teint ultra-carotène croise une petite maigreur en grosse fourrure brune: « Ça va? Et toi ça va? Moi ça va. Et toi, ça va? » — j’ai l’impression qu’avec le téoula, le sava est devenu l’un des leitmotivs des rapports sociaux, le va-tout des amitiés creuses qui n’ont rien à se dire…

#519

Hier soir, j’ai regardé « Mari Iyagi », un DA coréen que j’avais acheté dans l’aprem (la fgnacque venait de me donner des bons d’achat, alors…).

Eh bien… Je suis sidéré, ravi, enchanté, renversé, bouleversé… C’est d’une beauté formidable: une pure féerie, pas dans le style de Miyazaki mais tout aussi excellent.

Graphiquement, on se croirait un peu dans un album du Père Castor des années 60: des aplats de couleur, un dessin naïf sans trait, des effets de manque de perspective — le tout allié à une 3D parfaitement fluide, cela donne des effets paradoxaux étonnants, d’une rare grâce esthétique. Quant à l’histoire… Lente, contemplative, doucement nostalgique, emplie d’une magie subtile qui doit à la fois aux tableaux surréalistes, à Totoro, à l’Histoire sans fin, à Peter Pan — et par-dessus tout au graphisme pour enfants des sixties…

Je demeure encore sous le charme. :-°

#518

Un des multiples boulots que je dois accomplir pour la réalisation de cet énorme bouquin, c’est la réunion des illustrations. Le problème résidant dans la question des droits: ainsi, pour reproduire un tableau d’autrefois, qui devrait se trouver dans le domaine public, il faut en fait obtenir une autorisation du musée qui le possède actuellement… Pas une mince affaire, vous l’imaginez.

Et quant à obtenir des autorisations de grands messieurs comme Howe ou Frazetta, sincèrement je ne vais même pas essayer.

L’une des solutions à adopter, alors, consiste à farfouiller dans les illustrations anciennes, tombées dans l’oubli. Ce qui me va fort bien, amoureux comme je le suis des anciens livres illustrés pour la jeunesse. Il y a là des trésors méconnus à remettre à jour… J’ai ainsi profité de mon passage pour le nouvel an chez deux amies, en Provence, pour « piller » leurs bibliothèques & faire moults photocopies & scans. De même chez Ugo Bellagamba, à qui j’ai emprunté un somptueux Andersen illustré par Jiri Trnka — et demandé des scans d’après un ouvrage du XIXe siècle.

Seulement voilà: il convient malgré tout d’être prudent. Pas question de devenir un pirate. Et si des gravures anonymes du XIXe ne devraient guère poser de problèmes, je cherche en revanche à remettre la main autant que possible sur les ayants-droits d’illustrateurs oubliés du siècle dernier… Car le passage du temps n’est guère clément avec ces humbles de l’art: tout ou presque reste à faire pour la redécouverte des illustrateurs pour la jeunesse qui oeuvrèrent durant le XXe siècle, notamment en France. Et ma foi, voilà un petit rôle qui ne me déplaît pas: ce livre devrait permettre à des dessins & artistes ayant sombré dans l’obscurité d’un peu connaître une nouvelle jeunesse. Des gens de talent comme Henri Dimpre, Adrienne Ségur, Albert Uriet, Henry morin, Guy Sabran, André Pécoud ou Roger Reboussin, par exemple.

Et c’est là que ce travail se transforme en véritable enquête policière. À l’aide du web (sans lequel rien de tout cela ne serait envisageable), je recherche des références à ces illustrateurs, traque les pistes et tache de remonter jusqu’à d’éventuels héritiers… J’ai par exemple découvert hier que Guy Sabran était le frère aîné d’un vieil & fameux auteur de polar & de populaire, Paul Berna (de son vrai nom Jean Sabran). Reste à ce que je trouve l’adresse de Paul Berna — s’il est encore de ce monde, s’entend (mais l’entretien que j’ai trouvé semblait récent).

Comme quoi le merveilleux mène à tout, même au job de détective privé… 😉

#517

J’imagine que je devrais me sentir un peu coupable… Eh bien quoi, j’écris moultement sur ce blog lorsque je suis en déplacement, mais presque plus lorsque je me retrouve chez moi, tranquillement assis derrière mon propre ordinateur? Mais c’est que je me trouve vraiment occupé — à écrire. Notamment, je travaille d’arrache-pied sur un grand projet d’ouvrage sur le merveilleux. Encore un, me direz-vous. De fait, il s’agit d’une sorte d’aboutissement de mon travail de recherche & d’écriture sur le domaine, ces dernières années. À la fois la réunion & la prolongation de mes articles sur les « pertits maîtres de la fantasy », de mes conférences sur le merveilleux, de tout ce que j’ai pu réunir comme documentation… Un pavé de quelques 400 pages, qui sortira en fin d’année chez un petit éditeur tout neuf. Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux, que ça s’intitulera.

Ainsi, je viens coup sur coup de retravailler un vieux papier à propos d’Elizabeth Lynn (l’occasion de constater que j’ai passablement progressé dans l’art de la rédaction — reprendre mes vieux articles exige une bonne dose de réécriture et de reconstruction), un survol du merveilleux dans les albums illustrés pour la jeunesse, & un survol de la thématique « fantasy animalière ».

#516

Villégiature azuréenne (fin)

Cela fait deux matinées de suite que je rêve de Raoul Dufy. Pas de l’artiste lui-même (dont je ne sais pour ainsi dire rien), mais de sa « patte », de l’esthétique toute particulière qu’il savait donner à ses toiles. Et Dufy peignit Nice, bien entendu — déception, pas trace d’un Dufy dans aucun des musées que je visitai ici. Mais pour autant la ligne grêle & les couleurs décalées de Dufy semblent me hanter, influencer sur ma vision de cette ville.

La collection est affligeante, l’écrin demeure superbe: en dépit de l’orientation du MAMAC je ne peux qu’admirer le principe (& l’architecture) de cette enclave culturelle au sein de la ville, un long terte rouge & blanc sur le dos duquel sillonne le pelouse en zigzag. Nous visitâmes la bibliothèque, également très belle & enfouie sous le complexe, puis allâmes nous perdre chez les nombreux bouquinistes & libraires de livres anciens du quartier. Chapeau au sinistre marchand qui, non content de ne pas accepter la carte bancaire, tenta de me flouer d’un billet de 10 euros. Les autres s’avérèrent sympathiques & terriblement bavards, ainsi qu’assez accomodant sur les tarifs, ce qui est plutôt plaisant. Ah, & puis j’allais oublier: un tour émerveillé dans la boutique quasi-musée d’un spécialiste du jouet ancien en métal. Petites voitures, fusées, bateaux, automates, figurines de toutes sortes, la féerie du monde de l’enfance qu’une ardente nostalgie protège dans des vitrines. Nous venions de regarder Toys Story 2, le rapprochement me fit sourire.

Aujourd’hui, dernier jour niçois, se trouva essentiellement placé sous le signe des admirations architecturales, ainsi que de la « rando urbaine », qui lui est forcément concomitante. Après l’effarement passablement horrifié d’un échangeur autoroutier en pleine ville, vint la grâce orientale de l’église russe. S’y rejoignirent ma gourmandise dix-neuviémiste & mon attirance pour la Russie. La candeur des or en dentelle, le faste des turquoises & des verts, les quatre bulbes chapeautés d’un croissant & d’une croix, la structure en bourgeons carrés (comme une pierre de pirite, me rappela Ugo), l’entassement des demi-cercles au ras de la coupole comme autant d’yeux chez un archange — une telle architecture submerge son spectateur, l’amuse & l’étonne. Derrière ce monument s’élève une chapelle bien plus modeste & d’architecture baroque très retenue, le tombeau du Tsarévitch (le fils aîné d’Alexandre II, mort à Nice à l’âge de 21 ans). Surplombant cette portion de Russie en terre d’azur, un castel mauresque des années folles met la dernière touche au dépaysement.

Des hauts & des bas de notre chemin (Nice n’étant pas ville plate) émerga ensuite, au gré d’une promenade un peu hasardeuse mais toujours séduisante (tant de beaux immeubles! Mais pardon: ici l’on dit des « palais », en adaption du terme italien de palazzo), l’église de Sainte Jeanne d’Arc, visionnaire création toute blanche & béton, des oeufs que domine la spirale d’un clocher torturé. Une pure création des recherches architectoniques fifties (ici signée d’un certain J. Droz). Et puis: la Poste centrale, immense muraille de brique ouvragée selon les plus belles règles de l’Art déco, que ponctuent des mascarons parfaitement épurés – on jurerait quelques super-héros d’antan (signés Guillaume Tronchet). La gare tout près, classiquement « Orsay », & le théâtre, classiquement… classique. Quelques bouquinistes encore soulignèrent ce parcours citadin, sous un jour délicatement ambré.