#2286

Autopsie d’un objet anodin / 3

Un bocal, pas bien haut, en verre brun. Un jour de mai 1995, je me trouvais chez mes parents, dans la cuisine. À la radio, France Infos débitait son journal, quand maman s’arrêta, saisie : Henri Laborit venait de mourir. Comment ma mère connaissait-elle cet éminent savant, et pourquoi éprouvait-elle une telle émotion à l’annonce de sa disparition ? Pour ma part, je savais qu’il s’agissait d’un grand neurobiologiste, lors de mes études j’avais eu le plaisir et la chance de le voir donner une conférence, à la fac de philo de Bordeaux. Ç’avait été un grand moment, le vieux monsieur était extraordinairement vert, éloquent, pédagogue  et engagé. Un esprit supérieur. Mais maman, comment le connaissait-elle ? Eh bien, parce que jeune femme elle était infirmière en service psychiatrique et que, m’expliqua-t-elle, le professeur Laborit par ses recherches avait révolutionné le domaine, amenant à la création des premiers calmants. Pour elle qui avait connu l’administration des douches froides, les bains et les camisoles, ces premières pilules avaient représenté un progrès tellement formidable ! Elle me donna alors ce petit flacon, tout simple : il provenait de l’hôpital Saint-Gemmes à Angers, et l’on y mettait des pilules. Peut-être seulement du bicarbonate, plutôt que des calmants, mais tout de même, ce bocal remonte au milieu hospitalier de la fin des années 1950. Objet précieux.

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#2282

Autopsie d’un objet anodin / 2

Un morceau de corne. De vache, la corne, visiblement. Épaisse, noire et blanche, un peu jaunie. L’extrémité la plus étroite se perce d’un large trou aux bords usés, dans la corne boire. La base se ferme d’un large bouchon de liège, tavelé mais toujours bien solide. Qu’est-ce donc ? J’ai ce curieux petit objet dans ma cuisine, mais je ne m’en sers pas, il s’agit d’un simple élément de décoration… dont le sens ne semble guère évident. Mais moi, je sais ce que c’est : ma mère me l’a offert il y a quelques années, il s’agissait de la salière de son arrière-grand-père. Jean-Baptiste Perrochon était cantonnier (son carnet militaire indiquait « journalier ») et, sur les routes, pour son casse-croûte il avait avec lui ce morceau de corne évidé, plein de sel, afin de saler ses aliments. Je ne sais ce qui bouchait la petite extrémité. Jean-Baptiste était né le 18 mai 1863 à Rouvres-les-Bois, dans le Berry. Il fit ses classes militaires en 1883, et l’on peut donc supposer que ce bout de corne /  salière date d’un peu après, à la toute fin du XIXe siècle. Objet humble.

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#2281

Autopsie d’un objet anodin / 1

L’autre jour, mon assistant était surpris et hilare de voir à côté de moi, sur le bureau, un objet qu’il feignit de prendre pour du papier à rouler dimension « pétard ». Mais non point, nullement pour moi l’herbe qui rend niais, ce petit paquet jaune effectivement fabriqué par la firme Job est un étui de papier à lunettes, il contient de fines feuilles huilées qui servent à nettoyer ses verres. Pourquoi ai-je un tel étui ? Non pas parce que j’ai des lunettes, jamais je ne vais me servir de cet étui : il est bien trop précieux. Eh oui : un véritable objet « vintage », figurez-vous, il date des années 1960 ou 70. Et ce qui le rend si précieux à mes yeux (sans jeux de mots) c’est qu’il porte l’adresse de mon grand-père, opticien. Des étuis comme cela, j’en ai vu durant toute mon enfance et mon adolescence, il en traînait partout chez mon grand-père. Un de ces détails du quotidien auquel on ne prête aucune attention. Et pourtant… La dernière fois que j’étais chez mes parents, ma mère m’en a sorti deux, en m’expliquant qu’elle les avait retrouvé en rangeant le grenier. En voulais-je un ? Oh que oui ! Incroyable: flambant neuf. Songez, combien de ces étuis existe encore au monde, puisque c’était un objet jetable par excellence ? Et pour moi, quelle madeleine proustienne : j’avais gommé de ma conscience cet objet du quotidien, mais dès que j’ai vu ceux de ma mère, hop ! Du fond de ma mémoire a surgit cette petite forme jaune et allongée, si anodine, maintenant si précieuse. Objet culte.

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#2280

Pfouh, je n’ai guère envie de bosser, en ce moment, je tourne un peu au ralenti… Je me sens maussade, comme le ciel ce matin. Entre la lourdeur de l’air et puis, quoi, c’est l’été, quand est-ce que je vais prendre des vacances ? Réponse : rien de prévu à l’horizon. Pfouh. Comme d’hab des envies de Londres — beaucoup — et de San Francisco — un tantinet — me tiraillent un peu. Bon, je retourne bouquiner…

San Francisco 1952

#2279

Depuis seize mois que je suis devenu bordelais, je suis également devenu accro — à la brocante Saint-Michel du dimanche matin. Rien d’étonnant à cela, ç’aura même été tout à fait délibéré. Pour avoir vendu autrefois, une unique fois, sur la brocante, et pour avoir toujours tenu celle-ci comme l’un des regrets d’être exilé dans une cité lyonnaise où les vide-greniers sont si peu en vogue, je savais bien qu’en arrivant à Bordeaux ce parvis serait pour moi d’une attraction irrésistible. Enfin, ce ne fut pas tout de suite le parvis mais je préfère les voir étalées en désordre sous la flèche de Saint-Michel, ces brocantes, qu’alignées sur les quais comme cela fut durant le temps des travaux. Alors, bien sûr, ça représente un budget — une poignée d’euros chaque semaine, un billet bien souvent. Qu’importe : j’estime qu’à mon âge (bientôt 52 ans) il me faut me faire plaisir, tâcher de trouver un peu de fun, m’offrir un peu de confort, avant la fin du monde, n’est-ce pas ? So there: another haul this morning. Bliss indeed.

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