#5035

Les coquelicots, ce sont les voyous des rues, velus, hirsutes et d’une violente beauté qui surgit dans des recoins où on ne l’attend pas. J’aime la saison de leur surgissement. C’est aussi le temps où ma « période d’écriture », l’été , s’approche à grands pas. Je parlais hier d’obsession, en travaillant avec un ami : écrire, c’est tenir une obsession, voir son sujet partout, tout rapporter à lui. Cela me faisait déjà ça lorsque j’écrivais des essais, mais même avec ma présente activité de fiction, le phénomène subsiste, seulement un peu différent : depuis plus d’un an je lis surtout en français, afin de « goûter » la langue et ne plus me laisser trop influencer par les anglicismes, pour observer comment font les autres… Finalement, la majorité de mes lectures sont devenues « documentaires », au point que ce biais d’appréciation peut me faire aimer un roman juste pour une scène, quand ce n’est pas seulement une phrase qui me fait « décoller » — ce fut le cas pour le dernier passage que j’ai rédigé. Une image, une amorce de scène, une manière de faire, une atmosphère, un point de vue… Ainsi relisant un bout de Georges Perec, je me suis dit que j’allais essayer d’écrire une « tentative d’épuisement », le temps d’un segment de mon roman choral ; ainsi débutant un polar, une scène d’intérieur de commissariat s’est-elle imposée — j’en avais déjà faite une, dans une nouvelle des Confidences, mais du point de vue du public, et hélas vécue ; cette fois, ce sera réellement polar, quotidien du flic. Douces obsessions qui soutiennent, agitent le bocal et laissent rêver.

#5033

Avant la grande chaleur de l’après-midi, une balade du matin sous les pins, à humer les senteurs de résine et à froisser des fougères. Vu également des faisans Renaissance ou Art déco, des paons en grande robe et des kangourous. Ces derniers sont moins chics.

#5031

Deux nouvelles m’attristent considérablement ce matin, à savoir la mort d’une copine que j’avais perdue de vue, Vanessa Terral, et celle d’une des très grandes dames de la fantasy contemporaine, Patricia McKillip. L’œuvre de cette dernière fut parmi les toutes premières que je lus en anglais — au mitan des années 1980, lorsque les éditeurs français d’imaginaire (traduisez à l’époque : uniquement de SF !) freinaient des quatre fers pour empêcher la pénétration de cette épouvante, la fantasy. Poussé par quelques amis (Brèque, Marcel et Pagel, surtout) à me lancer dans la lecture en V.O. alors que mon niveau d’anglais avait toujours été calamiteux, j’avais tellement envie de découvrir ce genre neuf (pour moi) que j’en fis l’effort, et finalement l’anglais s’avéra une langue très aisée d’abord. Deux des premiers romans que je lus furent The Riddle-Master of Hed et The Forgotten Beats of Eld de Patrick A. McKillip. Et je me revois encore, dans ma petite chambre dans un ancien bordel en centre-ville de Bordeaux (si), en train de lire cette prose incroyablement riche et pourtant si accessible. Franchement, McKillip, pour moi, ce fut alors une littérature qui me fit exploser le cerveau — je n’en revenais pas. À la fois le langage (lire en américain), le style (excessif) et les thématiques (comme du conte de fées complètement réinventé et développé). Ensuite, j’ai lu plein d’autres auteurs bien sûr, par exemple Ellen Kushner, ou Pamela Dean, ou Steven Brust, ou Roberta MacAvoy, ou Esther Friesner, ou Barbara Hambly… me suis même risqué sur l’indigeste Stephen Donaldson… mais j’ai toujours conservé une place spéciale dans mes goûts, presque une douce perversion, pour les hallucinantes sucreries de Patricia McKillip. Elle fut un peu traduite, chez J’ai Lu et chez Mnémos, sans grand succès je crois — trop précieuse, trop exigeante ? Pour moi elle fut une lecture marquante de mon parcours d’éditeur, c’est certain. Et je suis triste.