#5052

L’air pèse plus lourd : alors que la chaleur écrase la ville, réduite au silence, coite de stupeur sous trop de soleil, dans la pénombre prudente de l’intérieur, la maison gronde – gros ventilo dans le bureau, petit ventilo dans le salon. On n’ose bientôt plus : ni sortir ni bouger. Seule visite, celle d’une factrice quémandant de l’eau pour sa gourde, comme à la porte d’une oasis.

#5051

J’aime ces soirées où un souffle d’air porte jusqu’à mon logis les violons des rails, les heurts cadencés des roues, le grondement bas d’un convoi, le tintement d’un wagon, le cri long et aiguë d’un frein, le raclement métallique d’un train, la chanson de fer du chemin de même métal. Et puis sur deux tons, soudain au sifflet, un appel, avertissement sonore avant la cavalcade qui file en tonnerre, tadam, tadam, tadam.

#5050

D’une prédiction d’orage n’est restée en vérité qu’une bruine mince et irritée, juste de quoi m’empêcher ce matin de m’assoir au dehors sur le salon Napoléon III. Par la porte du salon j’aperçois une pie en habit du dimanche sautiller sur la pelouse, et j’entends les sifflements tremblant des rapaces. Hier en fin de journée j’en ai vu une dizaine qui, grandes croix sombres, tournaient et viraient dans le ciel gris, portées au-dessus des prés par la main brutale du vent.

#5049

Force est de reconnaître que je n’avance pas aussi bien que je le souhaiterais sur mon roman : les travaux divers des Moutons électriques, les visio, l’organisation des déménagements, un séminaire bientôt, la participation à une librairie, les dossiers de ceci et les soucis de cela… je n’écris qu’en pointillé, en vérité. Je vais donc tacher de me ménager, si possible, une majorité de petits week-ends estivaux afin d’aller chez mon parrain en « retraite » d’écriture, il me suffira pour cela de prendre l’iPad sur lequel j’écris souvent. Et puis le climat sera sans doute plus doux dans cette chartreuse sous les grands arbres que dans mon échoppe en ville. Enfin, nous verrons, c’est de l’ordre des vœux pieux. Écrire demeure à la fois une évasion et une lutte.

#5048

C’était donc il y a un an. De mes impressions d’alors sur mes séjours chez mon parrain, j’ai brodé l’avant-dernière nouvelle de mon cinquième recueil de polar uchronique, Archives d’un détective à vapeur. « Les deux morts de mademoiselle Rose » est le titre de cette nouvelle quasiment contemplative. Et je retrouve aujourd’hui le plaisir de cette observation tranquille, assis dans les hautes herbes entre la mare et un cerisier. Une pause. Le temps de me familiariser de nouveau avec les épis hauts, les marguerites au long cou, le grumeleux odorant des menthes blanches, le tapis de pétasines sous le couvert près de l’eau, ces odeurs vertes et résineuses que soulève la chaleur du jour. Des papillons folâtrent, hésitent. Au ras du sol, posé ainsi dans l’ombre légère, j’écoute le chant des oiseaux et les crissements des sauterelles, tout à l’heure deux rapaces tournaient en sifflant au-dessus du petit bois, derrière moi des corneilles craquètent. Le niveau de la mare est bien bas, hélas. Soudain des aboiements : c’est un chevreuil tout roux qui, trompé par mon immobilité, s’inquiète et, en quelques bonds, s’enfuit plus loin, me regarde surpris, la tête portant une jolie couronne, puis en râlant derechef file dans la prairie.