#6123

Le matin appartient aux merles, qui jasent et babillent ; le soir aux martinets, qui sifflent. Quelques autres oiseaux y ajoutent de légers friselis, les pigeons quelques roucoulements. Suis triste de la mauvaise nouvelle reçue ce midi, un vieil et admirable écrivain qui commence à avoir des troubles cognitifs. Vague à l’âme.

#6122

Je ne lisais pas de poésie, dans le temps, m’y suis mis lentement et surtout en prose — j’ai encore du mal avec les vers, dont la forme me semble artificielle, et en écrivant cela je sais qu’il ne le faudrait pas, que c’est maladroit, mais voilà, cette impression due à la simple habitude de lire en prose je ne parviens guère à la dépasser. Et puis contrairement aux Anglais, je crois que la poésie n’est pas tant ancrée dans la pratique de lecture des Français, il n’y a qu’à considérer les grands rayons de poésie des librairies anglaises ou écossaises, et la place de la poésie dans la rubrique Books du Guardian, par rapport à ce qui se pratique ici, la marge. Enfin donc, cette lecture de poésie, c’est venu par exemple lorsque mon oncle Jean me conseilla de lire Jacques Réda : ce fut une petite épiphanie et rapidement l’un de mes écrivains préférés, ce poète du récit urbain, tellement conforme à mes goûts qu’il devint même une sorte d’idéal d’écriture, aussi. Et puis Philippe Jaccotet, pour la nature. Deux autres favoris : Etel Adnan, Hubert Voignier. Au fil des ans, ma découverte d’une autre lecture, des lectures, à picorer, légères, courtes, presque de pure esthétique. Et puis aussi, de fil en aiguille, je découvris au-delà de la poésie une forme littéraire « mineure » : la chronique. Des papiers brefs, d’humeur, de contemplation, de commentaire ou de déambulation. Mes goûts pour la psychogéographie m’avaient déjà fait découvrir le piéton de Paris, Léon-Paul Fargue (et son compagnon et disciple, André Beucler). Un souvenir de conversations avec Lionel Évrard, quand il était à Bordeaux durant mes études, me conduisit à cet autre promeneur d’Henri Calet. Un fascicule de Réda m’ouvrit les portes de cet étrange nomade helvète de Charles-Albert Cingria. Il y eut aussi les notes et carnets de Julien Gracq, autre idéal stylistique. Aux édition du Dilettante, de petits recueils si précieux de Pierre Marcelle, Nicole Verdier, Germaine Beaumont… N’est-ce pas formidable, ces écrivains en liberté qui vécurent en proposant ces fragments de pensées, de souvenirs, de promenades ? Comme les blogs des débuts, des carnets livrés à la lecture publique. Avec une poétique du quotidien, de l’ordinaire, de la vie en somme.

#6121

Première fois que j’assiste en direct à l’éclosion d’une fleur. L’annuelle pivoine de ma terrasse se trouvait à l’état d’un gros poing blanc serré, ce matin, et assis dans le coin ombragé pour lire et écrire j’ai, relevant la tête au fil des moments, vu cette grande fleur peu à peu s’ouvrir, en quelque chose comme deux heures. Quant à sa senteur, « capiteuse » est le terme adéquat. Dans le ciel, un orage monte et gronde. La pluie fait sonner le métal de la table de jardin.

#6120

Chaque année je loupe le retour des martinets : quand reviennent-ils ? Pourtant ils sont bien là, déjà, j’en viens de voir tourner et virer un groupe, petites flèches noires bien caractéristiques, et j’entends encore leurs sifflements – quoique je ne sois pas parvenu à les saisir sur cette photo.

#6119

Dans les rues bordelaises, le jasmin a gagné la guerre du parfum printanier contre le chèvrefeuille — ce dernier s’est fait plus discret depuis l’an passé et les flots d’étoiles blanches infusent comme jamais nos artères de leur saveur verte et douce.