#2386

À entendre le merle, que le temps pluvieux rend particulièrement volubile aujourd’hui, je me souviens qu’étant enfant je m’étais un matin, en me réveillant, demandé si les oiseaux que j’entendais existaient ailleurs. Notre maison en Bretagne représentait pour moi un tel paradis qu’il me semblait que chaque élément de son environnement devait être unique : sûrement il n’existait pas d’arbousier ailleurs? Les petites fleurs jaunes et noires poussant dans le terrain sablonneux n’existaient que là, bien sûr (hélianthème à goutte, vois-je sur le web). Les oiseaux ici ne chantaient que pour nous.

#2385

Retour TGV. Il y a quelque chose de fascinant dans l’immensité plate de ce paysage, ces champs jusqu’à perte de vue au bout d’un horizon opalescent, juste la fumée des nuages gris en étages infinis au-dessus d’une telle plaine, avec çà et là simplement la rondeur d’une bosquet, l’ourlet d’une suite d’arbres au bord d’un chemin invisible ou le phare incongru d’un château d’eau.

#2384

De retour de cette balade verte, hier, je me disais depuis le train qu’en dépit de la terrifiante avancée des flots de la banlieue, même les impressionnistes reconnaitraient encore qq portions de leurs paysages : il reste des champs en bord d’Oise, et puis ce pré rouge de coquelicot au sortir des bois d’Asnières, ou encore cette enfilade de peupliers au bord d’une rivière d’un vert opaque…

#2383

À quand remontait ma dernière visite sur les lieux de mon adolescence, dans le sud de Cergy-Pontoise ? Une bonne vingtaine d’années, et alors peu de choses semblaient avoir changé. Cette fois j’ai en revanche ressenti deux chocs, dont l’un d’importance. Des chemins ont disparu. Deux cheminements, l’un majeur, l’autre mineur.

Autrefois, une rue piétonne filait droit depuis la préfecture jusqu’à la place des Touleuses. Pour moi, gravé dans ma mémoire, il s’agissait de la colonne vertébrale de mes déplacement dans cette ville a taille humaine, faite pour le citoyen marcheur des années 70. No more : la portion qui bordait le cinéma, cette longue passerelle sous laquelle plonge la voiture du président dans le film I comme Icare de Verneuil, n’existe plus. À sa place et à celle de la petite portion d’anciens vergers, dont ne reste que le nom, ont poussé de nouveaux bâtiments publics et le chemin contourne — ma mémoire, mon passé ont été effacés. On a amputé ma géographie intime. Ça m’a fait un choc presque ontologique. Enfin, le reste de « mon » Cergy, le paysage d’une ville nouvelle que j’aimais tant à mon adolescence avoir l’impression de maitriser, à pied et en vélo, n’a guère changé. Une autre absence tout de même, marquante, c’est la disparition de l’art : les deux longues fresques des quais de la gare, d’antan source de fierté, ne sont plus que murs gris. Détruites aussi la fresque ensoleillée et coquine qui dominait l’escalator de sortie, de même que la petite fontaine au-dessus. Les années 70 aimaient les fontaines — celle en mosaïque des Touleuses a de même disparu. Et les fresques réalisées par des habitants. Et les couleurs vives des écoles : fini l’art dans la rue, terminé le multicolore seventies. Un autre effacement, celui du chemin qui partait presque au coin de chez mes parents et longeait le bois jusqu’aux champs en bord d’Oise. La forêt, redessinée, reboisée et de nouveau entretenue il y a quelques années, en a dévoré le début. On ne le retrouve qu’un peu plus loin, en herbe, avec en vertige archéologique un unique lampadaire au chapeau carré bien seventies. La ville m’a semblé plus verte que jamais, douce, une utopie urbaine de l’ère pompidolienne qui somme toute paraît avoir bien vécu le passage des ans et les changements sociaux. Devoir quitter soudain, à 17 ans, cet environnement familier, fut une brutale rupture.