#2583

Il n’arrive pas excessivement souvent que je doive rechercher un mot dans le dictionnaire — mais j’aime ça, cette forme singulière de gourmandise qu’est le vocabulaire. Tel, en français, ce « bréhaigne » d’une citation de Julien Gracq faite ce matin par l’ami Jaworksi (ça signifie « stérile ») ou bien encore à l’instant, en anglais, cette « apricity » chez Christopher Fowler (“the warmth of the sun in winter”, n’est-il pas merveilleux de posséder un mot pour cela ?).

#2581

Un mien ami m’a offert un recueil des souvenirs de voyage à Bordeaux de Johanna et Arthur Schopenhauer. Le philosophe n’avait alors que 16 ans, c’était en 1804, le château Trompette élevait encore ses vieux créneaux noircis, chaloupes et navires encombraient le port de la Lune, pour le Mardi-gras deux carnavals se déroulaient… Lecture délicieuse, mais je préfère la prose délicate et gentiment lyrique de la mère, Johanna, à celle sèche et grognon du fils, à la fois immature et déjà rigoriste.

#2578

Mon jardin est tout petit mais m’apporte malgré tout bien des menus plaisirs, comme de manger ce midi une salade de pourpier, tomates, oignon et piment doux en provenance de mon espace à moi que j’ai. Et je songeais à ces bonheurs minuscules qu’il faut parvenir à saisir, à entretenir, à chérir pour se sentir bien, notamment à certaines photos qui me sont chères. Celle-ci par exemple, réunissant deux garçons importants pour moi (mon assistant et mon fils), et la lecture, toujours la lecture. Les bougies c’était plus fortuit, mais cela créa une belle ambiance. Au début de mon acclimatation bordelaise, il y avait fréquemment des pannes de courant, l’installation vétuste ne fut enfin remplacée par la compagnie d’électricité qu’après plusieurs protestations des habitants de l’impasse. Maintenant même par les orages les plus violents, comme l’on en a eu un il y a peu, la lumière demeure stable.

Mon traditionnel épuisement estival m’ayant rattrapé, je me suis mis un peu en pause, je (re) lis pour mon plaisir seulement, à savoir pour l’instant Moonheart de Charles de Lint, l’une des premières fantasy urbaines à m’avoir renversé — à la relecture, je trouve que l’auteur tirait un peu trop à la ligne, je passe vite sur certaines séquences, mais la musique particulière de cet auteur me séduit toujours. Niveau bédé, je relis avec jubilation les « Lapinot » de Lewis Trondheim.

#2573

Bon, je lis, je lis, des tonnes et des tonnes de romans pour les Moutons et quelques projets annexes, reuuuh, j’en rote presque. Alors quand on est fatigué de lire, que faire? A part le jardin, je veux dire (ça c’était hier). Eh bien… lire, bien sûr, mais lire de la bédé. Et ça faisait un bail que je n’avais pas pratiqué quelques marathons bédés… Alors, ces derniers jours, lecture ou relecture de séries :

Les Gens honnêtes de Durieux & Gibrat, ce sont comme dirait Sylvie Denis « des histoires de gens », et c’est amusant comme j’aime les histoires de gens au ciné et en bédé mais bien moins en romans, pour moi les histoires de gens c’est plutôt un genre avec images. Très sympa, ces 4 tomes, plein de gens honnêtes, oui, des « petites gens » — et ça se déroule même en partie en région bordelaise. Bon, ils sont tous hétéros, ça, ça daille un peu, mais c’est sympa quand même.

Koma de Wazem & Peeters, je crois que je n’avais jamais lu la fin, ou alors je l’avais oubliée, normal elle est un peu plate et décevante. Mais sinon belle science-fiction assez originale, et ce dessin! Quel dommage qu’ensuite Peeters ait adopté un encrage plus frêle, moins gras, le gras lui allait si bien (5 tomes en tout).

Ralph Azham de Trondheim. Ce me est génial, je sais, le terme est galvaudé, mais peu importe, pour moi Lewis est un des très très grands, et rarement décevant. Sincèrement, il m’épate. Cette longue série de fantasy (10 tomes déjà) est étonnante de densité, d’humour, d’ambition politique (eh si), et les couleurs de Findakly la rehausse encore d’un niveau. Je trouve d’ailleurs, avec mes mauvais yeux, que le format reste trop petit.

Le Voyage extraordinaire de Camboni & Filippi, steampunk en technicolor, le dessineux est cinglé, le scénario inventif et bondissant, là encore le format s’avère selon moi trop petit pour l’ampleur et la précision de l’encrage comme des couleurs (5 tomes pour le moment).

Le Petit rêve de Georges Frog de Phicil & Drac, histoires de gens là aussi mais animaliers, à New York, jazz, rétro, tendre, sympa mais la fin est malheureusement un peu n’importe nawak. (4 tomes, une intégrale)

– … et une mince part de mon retard sur Topolino de rattrapée…

#2564

Il y a quelques années, j’avais participé à un colloque universitaire. J’en avais déjà fait un d’antan, à Nice et dans le domaine de la science-fiction, mais cette fois il s’agissait d’un sujet qui m’est cher de manière plus « intime », à savoir la psychogéographie. La Lyonnaise Nathalie Caritoux avait organisé tout cela, et je viens d’en recevoir le recueil — un très beau petit livre, et ça c’est plutôt une (bonne) surprise car d’ordinaire les livres universitaires sont laids et pauvrement imprimés — ceux de la collection SF des PUB par exemple sont des sortes de vilains cahiers collés trop souples, le genre de trucs que l’on a la pauvreté intellectuelle de faire passer en France pour des livres alors qu’ils ne sont que l’illustration de l’incompétence des imprimeurs de notre belle nation… enfin bref Eh bien, celui-ci en tout cas est un vrai livre, couverture en carte vergée, rabats, papier intérieur ivoire, la classe quoi. Ne m’y cherchez pas, cependant : je n’ai pas écrit de papier pour ce colloque ; bien au contraire. D’une façon paradoxale qui m’amuse a posteriori, c’est le fait même que j’avais pris des notes qui m’avait mis brièvement en difficulté : devant mes notes, je m’étais retrouvé muet, incapable de restituer ce chemin-là de pensée puisqu’il était déjà écrit. Pour moi, un texte écrit, rédigé, est un texte que je n’ai plus « en tête ». J’avais donc abandonné mes fichues notes et improvisé, comme je le fais chaque fois que j’ai une intervention à faire. Pour moi, l’oral c’est de l’impro et j’y suis à l’aise (tiens, l’éditeur de l’Arbre vengeur vient de me demander de faire l’an prochain une intervention devant ses étudiants de l’IUT Métiers du livre, voilà qui va m’amuser).

Ce fut une expérience fort agréable, ce colloque — discuter avec l’irrépressible Thierry Paquot (pape français de ces questions), rencontrer mon camarade toulousain Matthieu Duperrex ou dîner en compagnie de l’Anglais Christopher Hauke — dont l’intervention très peu universitaire mais très littéraire et poétique, donc bien dans l’esprit psychogéographique, avait déplu à une académie toujours aussi rigide. Je retrouve donc avec grand plaisir le papier de ce dernier, belle dérive dans Londres. Enfin voilà, ce livre constitue pour moi un joli souvenir de l’une de mes rares expériences positives de la fin de mon séjour lyonnais.