#2564

Il y a quelques années, j’avais participé à un colloque universitaire. J’en avais déjà fait un d’antan, à Nice et dans le domaine de la science-fiction, mais cette fois il s’agissait d’un sujet qui m’est cher de manière plus « intime », à savoir la psychogéographie. La Lyonnaise Nathalie Caritoux avait organisé tout cela, et je viens d’en recevoir le recueil — un très beau petit livre, et ça c’est plutôt une (bonne) surprise car d’ordinaire les livres universitaires sont laids et pauvrement imprimés — ceux de la collection SF des PUB par exemple sont des sortes de vilains cahiers collés trop souples, le genre de trucs que l’on a la pauvreté intellectuelle de faire passer en France pour des livres alors qu’ils ne sont que l’illustration de l’incompétence des imprimeurs de notre belle nation… enfin bref Eh bien, celui-ci en tout cas est un vrai livre, couverture en carte vergée, rabats, papier intérieur ivoire, la classe quoi. Ne m’y cherchez pas, cependant : je n’ai pas écrit de papier pour ce colloque ; bien au contraire. D’une façon paradoxale qui m’amuse a posteriori, c’est le fait même que j’avais pris des notes qui m’avait mis brièvement en difficulté : devant mes notes, je m’étais retrouvé muet, incapable de restituer ce chemin-là de pensée puisqu’il était déjà écrit. Pour moi, un texte écrit, rédigé, est un texte que je n’ai plus « en tête ». J’avais donc abandonné mes fichues notes et improvisé, comme je le fais chaque fois que j’ai une intervention à faire. Pour moi, l’oral c’est de l’impro et j’y suis à l’aise (tiens, l’éditeur de l’Arbre vengeur vient de me demander de faire l’an prochain une intervention devant ses étudiants de l’IUT Métiers du livre, voilà qui va m’amuser).

Ce fut une expérience fort agréable, ce colloque — discuter avec l’irrépressible Thierry Paquot (pape français de ces questions), rencontrer mon camarade toulousain Matthieu Duperrex ou dîner en compagnie de l’Anglais Christopher Hauke — dont l’intervention très peu universitaire mais très littéraire et poétique, donc bien dans l’esprit psychogéographique, avait déplu à une académie toujours aussi rigide. Je retrouve donc avec grand plaisir le papier de ce dernier, belle dérive dans Londres. Enfin voilà, ce livre constitue pour moi un joli souvenir de l’une de mes rares expériences positives de la fin de mon séjour lyonnais.

#2563

Soulagement : les trois « artbooks féeriques » monographiques sont bouclés, il reste encore au graphiste de la collection d’apposer une dernière fois ses mains magiques sur un ordi pour que les minuscules détails se corrigent (oui, c’est comme ça que ça marche), et ce sera bon. Dulac, Rackham et Robinson sont dans la boîte. La semaine prochaine, autre chantier : le volume collectif dirigé par mon excellente camarade Christine Luce, sorte de mini encyclopédie de l’art féerique. All work but also play…

#2559

Sur la page d’accueil du site des Moutons électriques, le quatrième menu se nomme « thématiques ». Nous y avons répertorié divers motifs récurrents des livres que nous publions — et au sein de ces regroupements, vous noterez peut-être le terme de « nature writing ». Trois titres seulement, trois romans, y apparaissent : Conte de la plaine et des bois, de Jean-Claude Marguerite ; Dur silence de la neige, de Christian Léourier ; et La Lisière de Bohème, de Jacques Baudou. Mais qu’est-ce donc que le « nature writing », bon sang de bois ? Eh bien, il s’agit d’un genre littéraire à la double nationalité : dans sa version anglaise (celle que je préfère), il s’agit d’écrire sur le rapport intime entre l’homme et la nature, entre la culture et la nature, à travers aussi bien le jardinage (art anglais s’il en est) que la promenade, l’observation ou la philosophie, les espaces encore sauvages aussi bien que la campagne, mais également les franges urbaines. Dans sa version américaine, c’est véritablement la littérature des grands espaces, introspective et sensuelle, feu de bois et canyon, celle que l’éditeur Gallmeister promeut assidument. J’avoue ne goûter que fort peu celle-là, généralement d’une virilité triomphante et peu écologiste, une littérature de chasseurs plutôt que de naturalistes, un truc d’hétéros à grande gueule en chemise à carreaux, imposé par l’américanisme galopant de la branchitude française canal Colin historique. La mentalité américaine m’irrite, je préfère ô combien l’approche britannique, ouverte, contemporaine et sensible — j’ai d’ailleurs constaté avec intérêt que si une partie de ces ouvrages de réflexion / observation sur la nature sont l’œuvre de naturalistes, un certain nombre l’est également de poètes. Tout cela pour dire qu’à travers les trois romans que j’ai eu la chance de publier, j’ai déniché un petit peu d’une expression francophone du « nature writing », une approche bien à nous où un brin de fantastique permet de toucher à notre rapport avec l’environnement naturel — un fantastique à ciel ouvert (*). J’en veux pour preuve, par exemple, que le Marguerite répond presque exactement à la définition qu’esquissait du « nature writing » un journaliste du Figaro il y a quelques années : « Un homme. Un chien, peut-être. Un homme et son chien, éventuellement ! Des arbres, du ciel, de l’eau, de la neige, des cailloux. Des parties de pêche, de chasse, et beaucoup de solitude. »

Aurai-je l’occasion de publier d’autres romans relevant du « nature writing » ? On verra bien, il s‘agissait de rencontres de hasard. En attendant, je fus heureux de les saisir, ces belles occasions, et pour mon propre plaisir je reviens régulièrement à ce « nature writing » anglais que je découvris par hasard, un jour, par la grâce d’un étalage de librairie londonienne.

(*) … auquel je raccrocherai aussi Le Pays sous l’écorce de Jacques Lacarrière, cet étrange et poétique récit que je n’ai eu de cesse de chroniquer et re-chroniquer au fil des années, jusqu’à l’introduire finalement dans le Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux.