#3070

Après la pluie, la prairie exhale une senteur de paille et de terre, à la fois âcre et piquante. Le mouvement du vent et des averses a creusé de petits vortex verts au sein des hautes herbes. Celles-ci, alanguies, se couchent aux abords des haies en longues hachures végétales. Les cerises ne sont toujours pas mûres, et j’ai encore effrayé un chevreuil, qui m’a montré son pompon blanc tout en hennissant sa désapprobation. Filant vers un roncier, il ébroua quelques grognements. Les nuages filent continuellement.

#3069

Promenade à la recherche de prêles, ce matin – si si, il y avait une excellente raison, et donc plaisante dérive urbaine de friches en petites rues, avant que de regagner Champignac pour un avant-dernier week-end qui devrait être passablement humide. Il flottait sur la ville des senteurs de buddléias. Tristesse hélas à midi d’apprendre la mort cette nuit de ma vieille voisine, mademoiselle Rose, à 88 ans.

#3068

Hier soir j’évoquais avec un vieil ami cette pratique des notes d’observation. Je nommais dans le temps cela mes « instants lucides », ces minuscules moments que j’essaye de saisir par écrit, en imitation de l’art du croquis sur le motif, comme j’en ai vu vendredi dernier d’admirables exemples avec les carnets d’Emmanuel Guibert, au musée d’Angoulême. Faute du moindre talent graphique j’essaye d’assouplir mon écriture, ce sont comme de petits exercices. Et puis, ces temps-ci, mes séjours pastoraux ajoutent leur saveur impressionniste, leur caractère de « parenthèses » d’exception, à ce que je peux vouloir retenir. Ces carnets virtuels, j’y pioche également lorsque je compose des fictions : ainsi ai-je été ravi de retrouver, pour une nouvelle récente qui sortira l’an prochain en anthologie, mes notes jetées hâtivement lors d’un passage au petit matin entre Saint-Malo et Jersey, il y a des années. J’achève mon gros travail de relecture, et mes deux prochains et derniers week-ends à Champignac j’essayerai de revenir à ma propre écriture, avant d’y consacrer mes mois de juillet et août, « sanctuarisés » chaque été dans ce but.

#3067

De ces micro expériences de week-ends à Champignac, tout ne peut se traduire en photo. L’averse soudaine de feuilles mortes du colosse magnolia, se frayant un passage dans un froissement brutal et finissant au sol comme autant de grandes écailles en cuir friable. La surprise alors que je me trouvais au téléphone, assis devant la maison sur les chaises blanches Napoléon III, d’une cavalcade de chevreuils, deux animaux roux bondissant hors de la prairie, traversant la pelouse dans un heurt de sabots, virant sous le magnolia déjà évoqué et filant dans les épis hauts d’un autre pré. Les pas de géants qui grattent sous les arbres, en fait le travail d’un merle qui s’enfuit en caquetant sa désapprobation. Une pluie de pollen, sous un cyprès, en hachures étincelantes. Ou la brève brûlure des orties sur ma cheville, plus prosaïquement.

#3066

Quelques pas dans une prairie, pour admirer les moirures rosées de l’avoine et soulever des vols de papillons, tandis que là-haut tourne un épervier. « Fadet commun » me dit une recherche sur les petites ailes marron qui quittent l’abri des herbes puis y retournent. Pour les grandes ailes blanches qui, parfois, s’élèvent plus haut, ma mémoire d’enfance rapporte dans son filet un nom aux consonances familières, la piéride des choux.