Se réveiller à trois heures du matin avec soudain en tête une petite scène, ruminer un moment puis l’écrire – check. Voulant que ce roman fasse une sorte de portrait beaucoup plus complet de mon univers d’uchronie que ne le permettent les fenêtres étroites que sont les nouvelles, je ne cesse de me dire « Oh je n’ai jamais fait de scène » de ceci ou de cela, « je n’ai jamais spécifiquement dit si les gens fument, s’ils portent des chapeaux, s’il y a des jetons de Taxiphone, ou des joueurs d’orgue dans les rues piétonnes »… La vie quotidienne quoi, que je m’efforce donc de glisser dans ce roman policier (quand même) par petites touches… Bosser sur l’effet de réel, de profondeur, en somme.
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#5021
Les quelques averses ont rincé le ciel, maintenant d’un bleu dur, et enfin lavé les feuillages des blémissures de sable saharien. Un froid sec s’installe, bien loin des neiges qui accablent apparemment le reste du pays. Je dis souvent que la Nouvelle Aquitaine devrait prendre son indépendance. Sinon, j’avais bien débuté mon « gros roman » mais rien fait de plus depuis deux jours qu’une phrase en passant (« En bas, posté à l’entrée de la grande artère commerciale, un orgue limonaire rémoulait les airs de quelques chansons populaires, dont les notes montaient vers lui en grelotant ») car boulot ovin + relecture de mon prochain recueil, c’est bien aussi. Dimanche, signature au salon de Chaniers (près de Saintes), le week-end suivant salon Escale du Livre à Bordeaux, je ne vais guère chômer ces temps-ci.
#5020
Ce week-end, de vide-grenier en brocante, et alors que je pensais avoir été fort raisonnable, j’ai tout de même rapporté une vingtaine de bouquins — et dans ces acquisitions documentaires se trouvaient La Montée du soir de Michel Déon et Le Déclin du jour de Germaine Beaumont, deux beaux titres en écho, joli hasard.
#5019
Cinquième étage : on ne fait pas plus haut, en cette ville, c’est déjà un sommet. Les bureaux de l’ancienne firme Maigret, ça ne s’invente pas. La spirale d’air transparent de l’escalier tournoie de plancher vernis en palier de pierre blanche. Au-dessus du lacis des tramways et des piétons affairés, loin de l’ordinaire des pavés sombres, l’on pénètre dans la quiétude fraîche de l’étude. La vue se déploie un peu plus haut que les toits, plonge dans le secret d’une terrasse creusée en puits où l’ombre se rue, la ville étale sa nappe écailleuse de tuiles roses, chaque balcon semble un quai, des coins de ciel glissent bleutés jusqu’au plus proche clocher.
#5018
Le beau-livre que j’achève de mettre en page, Science-fiction !, utilise beaucoup la métaphore du voyage pour exprimer l’une des fonctions de cette littérature. Il s’agit d’un élément que nous avons saisi a postériori, en bâtissant ce grand puzzle d’articles et d’images. Et bien entendu, ça me parle, car du voyage, j’en manque terriblement. Ainsi, j’envisage, au-delà du « gros roman » que je débute, de consacrer sans doute, un jour, un dernier petit recueil à monsieur Bodichiev, qui s’intitulerait « Voyages d’un détective à vapeur ». Une seule nouvelle est déjà écrite (celle juste parue dans le troisième Fiction l’imaginaire radical), une autre est débutée, qui commence à Lisbonne mais qui devrait se conclure à Rome — et après beaucoup d’hésitations et de reports, il semblerait qu’effectivement j’aille à Rome une petite semaine fin avril. Une éternité que j’ai envie d’y retourner. Dans d’autres textes, c’est tristement ironique, j’ai envoyé Bodichiev en voyage à Kiev et à Odessa — las, jamais je n’irai, comme c’est parti. Vu les régimes tyranniques et homophobes de ces pays j’avais déjà fait une croix sur Saint-Pétersbourg, Istanbul ou Budapest, j’espérais encore me rendre un jour à la belle Odessa… Le monde se referme. En dépit du Brexit j’aimerai bien retourner à Londres et en Écosse, j’y songes souvent.