#2497

Le cœur gros. Un grand artiste, dont les récits me touchaient très souvent. Rythme lent et goût de la contemplation, errances dans les rues, gourmandise pour un art culinaire d’une variété stupéfiante, destins d’individus fondamentalement solitaires — quelle force, quelle grâce, quelle beauté, chaque fois je me retrouvais subjugué. J’en ai offert, des L’Homme qui marche ; fut un temps je le donnais à tout le monde autour de moi. Un jour, bien des années plus tard, j’ai reçu un paquet inattendu : le Venise de Taniguchi, chez Vuitton Books, un bel album luxueux — c’était mon tout premier stagiaire, Anthony, à qui j’avais autrefois offert L’Homme qui marche et qui en échange, bossant désormais chez Vuitton Books, me faisait ce beau cadeau.

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#2496

J’abandonne, je ne parviens pas à lire Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson. Je croyais y trouver un plaisant récit de cheminement dans la campagne, au lieu de quoi ce ne sont que récriminations d’un réac fermé sur lui-même, et qui écrit assez pauvrement, j’ai envie de biffer son texte comme je le ferais d’un manuscrit — il n’y a plus d’éditeur chez Gallimard ? Tout cela est ordinaire, à l’image de la seule culture qu’il étale, ces références calcifiées, momifiées, de la littérature officielle. Là où des promeneurs anglais comme McFarlane ou Mabey nous parlent d’aujourd’hui et d’une culture ouverte, et bien sûr de notre rapport à la nature, Tesson ne fait que grinchouiller entre deux plates exaltations. Quel paradoxe : se promenant dans l’espace naturel, il se recroqueville au monde. Tesson ce n’est pas du « nature writing », c’est Jean-Pierre Pernaut. Triste France, triste NRF.

#2491

L’intime. C’est quelque chose, un sentiment de proximité au point de faire presque partie de moi, qu’en dépit de mon amour pour la science-fiction et la fantasy, je n’ai jamais ressenti non pas pour mais par ces genres. Parce qu’en SF, l’intime et le purement psychologique ont longtemps été absents des stratégies narratives ; la SF c’était le grand spectacle, avec des personnages comme simple vecteurs. Bien sûr, Cristal qui songe, Des fleurs pour Algernon… mais ces romans-là n’arrivèrent pas à point ou ne me touchèrent pas si fort qu’ils me construisirent. Et puis encore, la SF était seulement hétéro, ce qui ne pouvait me parler intimement. La fantasy arriva un peu trop tard, pour moi. Le roman policier ? Ma proximité de ce genre fut « pantoufle » plutôt que construction intime : puzzles et divertissements, éléments de langage, même (les plaisanteries de Fantômette et les réparties d’Archie Goodwin), importants pour bâtir mon imaginaire mais pas pour m’expliquer le monde au niveau émotionnel. Finalement, lorsque je me retourne sur mon passé de lecteur, lorsque j’interroge mon ressenti de lectures, mes attachements intimes sont principalement avec deux galaxies de vies : Christopher Isherwood et Armistead Maupin. Du premier, j’ai tout lu et relu, jusqu’aux journaux, plusieurs biographies, des documentaires, des essais sur, et même étendu mon intérêt à tout son entourage — Upward, Spender, Auden, Day Lewis, et leurs œuvres, et leurs vies, jusqu’à Denny Fouts (l’homme entretenu…) ou Benjamin Britten, sans parler des films Cabaret et  A Single Man. Isherwood et les siens, qui m’ont tant appris sur le sentiment homosexuel, que j’ai tant suivis qu’ils me semblent appartenir à ma vie d’une certaine manière. Du deuxième, j’ai également l’impression d’en connaître intimement tous les personnages, et jusqu’à leurs visages et leurs voix puisqu’ils furent incarnés sur le petit écran. Lues et relues les « Chroniques de San Francisco », et j’attends maintenant avec grand intérêt l’autobio annoncée de Maupin.

Ce rapport intimiste à certaines œuvres, je l’ai également avec une poignée d’albums qui me sont « culte », un rapport à quelques musiques singulières qui ne s’explique que par des conditions de découverte ou d’écoute dans ma jeunesse : The Hissing of Summer Lawns de Joni Mitchell, Ommadawn de Mike Oldfield, To Keep from Crying de Comus, Lord of the Ages de Magna Carta, Wind and Wuthering de Genesis, Thick as a Brick de Jethro Tull, le tout premier Supertramp (avec la vilaine rose en pochette)…

#2490

Entre deux rasades de Jaworski, j’ai entamé hier soir la lecture de The Animals, le recueil de correspondance entre Christopher Isherwood et Don Bachardy. Il sera dit que je ne cesse de revenir sur la vie d’Isherwood, lisant et relisant outre ses romans, ses journaux, ses bio, et maintenant les lettres d’amour avec son compagnon de toujours. Dire que c’est touchant est un euphémisme, en plus d’être passionnant. Et il faut croire que ça m’a  marqué, car cette nuit-même j’ai fait un rêve assez étonnant. Je ne m’en suis pas rappelé tout de suite, c’est une fois sous la douche que soudain, boum! le souvenir m’est revenu, troublant, étrange. Je me trouvais dans la position de professeur dans un collège, et je remarquai au premier rang deux élèves : moi-même jeune et mon premier amour, E. Avec amusement et tendresse, moi-prof constatai que moi-jeune embrassai E. sur la joue et dans le cou, et moi-prof se disait que les choses semblaient bien engagées pour ces deux-là. Mais je ne voyais pas moi-jeune comme tel, j’étais juste vaguement troublé de reconnaître cet élève mais sans trop savoir pourquoi, et idem d’E. Pfouh, il y avait bien des années que je n’avais pas rêvé d’E. Et ensuite, moi-prof allait courir, une activité qui relaxait cette identité parallèle (courir? mais quelle horreur!), j’étais en banlieue parisienne, dans la campagne proche de Ste-Geneviève-des-Bois telle qu’elle était lorsque Michel Pagel habitait dans le coin.