#2826

À l’orée d’un bois de tilleuls, dans la vaste verdure d’un domaine répondant au nom enchanteur des Fays, quelques proches des Moutons électriques eurent l’occasion ce week-end de se réunir afin de fêter le quinzième anniversaire de la maison d’édition, avec moult plats succulents, nombre de bouteilles, petite bourse d’échange de livres, bavardages jusqu’au bout de la nuit, feux d’artifice et feu de camp… Tout le monde n’y figure pas, mais ce sera la photo « officielle » malgré tout, par Christine Luce, de cette tendre et joyeuse célébration.

#2825

Je n’avais (quasiment) jamais campé. Un « quasiment » qui n’obtiendra aucune explication publique afin de ne pas entacher la réputation de Michel Pagel. Et donc cette nuit fut ma première sous une toile de tente. Ce ne fut point déplaisant, plutôt exotique – que voulez-vous, avec le grand âge me prend des envies aventureuses. Les sons surtout s’avèrent d’une sereine et nocturne différence. Le grésillement du feuillage du bouleau, la grande voix marine de la canopée, des murmures dans l’ombre, les hululements soyeux d’une chouette et, beaucoup plus rares, quelques râles lointains, chevreuils peut-être. Sinon j’ai dormi, hein, surtout.

#2823

« Oh j’adore Untel », dit le lecteur, mais l’untel change au fil du temps, le goût littéraire se forme par accrétions, découvertes, oublis, retours, souvenirs… Étant jeune sans doute  aurai-je dit que mes auteurs favoris étaient Tolkien (lu le Seigneur des Anneaux sept fois étant môme, mais je n’y arrive plus), Simak, Sturgeon, Leiber, Moorcock… Puis j’aurai certainement cité Brunner et Jeury, mais aussi Jean-Pierre Hubert, Dominique Douay, Élisabeth Vonarburg, Cordwainer Smith, Michael Coney et Ross MacDonald… De tous temps, Franquin, Tillieux, Greg, Bottaro, Georges Chaulet (les Fantômette), Rex Stout (les Nero Wolfe) et Agatha Christie… Roland C. Wagner et Michel Pagel, bien sûr… Puis plus récemment, ce furent Charles de Lint et Neil Gaiman (mon goût pour la fantasy urbaine), Dorothy Sayers, Margery Allingham et Nicholas Blake (mon goût pour le polar golden age)… Aujourd’hui, qui citer comme ces piliers auxquels revenir sans cesse ? Isherwood, Flaubert, Giono, Simenon, Modiano, Murakami, mais aussi Christopher Priest, Tove Jansson, David Lodge, Armistead Maupin, China Miéville, Christopher Fowler (les Bryant & May)… Et des phares, ces livres monuments, le Guépard de Lampedusa, Cent ans de solitude de Marquez, Gagner la guerre de Jaworski, Transit de Pelot, le Vent dans les saules de Kenneth Grahame, Le Seuil du jardin d’André Hardellet ou Encore heureux qu’on va vers l’été de Christiane Rochefort…

#2823

A l’extérieur les murs sont blancs ; à l’intérieur ils se couvrent de livres, et les pièces prennent des aspects de cosy labyrinthe où chaque pas, chaque regard, accroche une reliure de Pipolin, un tas de romans photo, une pile de recueils de contes, un alignement de Marabout, des Conan au lettrage seventies ou les dos jaunis de quelques Théo Varlet. Que la conversation roule sur de vieux « Présence du Futur », sur une nouvelle de Heinlein ou sur les romans de Bérato-Dermèze et il suffit de consulter les rayonnages, derrière le désordre de fauteuils et de canapés. Le bordeaux sombre du plafond et la noirceur des poutres rappellent un pub anglais. Au dehors, un dîner de chat laisse sur les dalles rouges deux ailes et une poignée de plumes blanches, tandis qu’au dessus de nous tournent les fuseaux noirs des chauves-souris. Les tourterelles commèrent dans les grands arbres, les humains simplement sur des chaises. Les nuages prennent des langueurs et des teintes à la Maxfield Parrish. Chaque bouteille de bière porte des noms étranges et même le thé se métisse de coquelicots. Une piéride des choux tressaute dans l’air comme un copeau de lumière. Les baies noires du sureau dodelinent au pied du houx, dont les fruits ne sont encore qu’orangés.