#5054

Citoyen de la ville, lors de mes week-ends à la campagne je ne lasse pas de m’enthousiasmer des quelques animaux que j’y peux observer : monté en haut du domaine pour aller voir les chevaux d’à côté, j’ai dérangé deux chevreuils et trois grands oiseaux blancs, certainement des aigrettes. Ce midi un petit rapace, buse ou faucon, se tenait sur le fil électrique au-dessus d’un pré. Joies sans doute naïves d’un vieil urbain.

#5053

Un vent encore chaud caresse les rues calmes et lourdes, fait murmurer les sombres frondaisons, provoque des grincements de gouttières et se glisse par les fenêtres. Il annonce l’effondrement de la température, le retour d’une douceur automnale, espèrent hommes et chats qui cuisent depuis quatre jours. « Le rideau de fer de l’obscurité râcle le gosier des maisons », comme écrivaient Beucler et Fargue dans leur Composite que je lis actuellement entre deux polars de Ngaio Marsh. Il sera bon de respirer à nouveau, je commençais même à avoir du mal à penser, la tête fendue. Assis dans les jupes de la nuit, je hume le limon de la ville, je guette les lueurs, je reprends mon souffle.

#5052

En 1998, soit il y a une broutille de 25 années, j’avais publié dans la fameuse anthologie de Serge Lehman Escales sur l’horizon une première nouvelle mettant en scène un détective privé nommé Bodichiev, dans une Londres uchronique, capitale occidentale d’un empire anglo-russe. Ensuite, j’ai continué à écrire d’autres enquêtes du monsieur, l’une fut publiée dans la revue québécoise Solaris, le reste, même accepté çà et là, ne vit pas le jour. Vers 2003, je me remis plus assidument à la rédaction d’éléments de cet univers, mais le succès ne fut pas plus au rendez-vous, les éditeurs refusant le recueil les uns après les autres (« C’est trop SF et pas assez polar », « C’est trop polar et pas assez SF », « C’est des nouvelles »). Je baissais alors les bras, jusqu’au jour béni où un micro éditeur, puis un autre, déclarèrent qu’ils voulaient publier le cycle. J’optai pour le deuxième, les Saisons de l’étrange, avec un deal pour trois volumes. Seulement voilà : j’avais repris goût au truc ! Et fort heureusement, un autre micro éditeur, Christian Robin de chez Koikalit, décida de reprendre le flambeau. Et j’ai ainsi alignés déjà 7 petits volumes, plus un « best of » chez Folio SF. Maintenant, reste à sortir le huitième et dernier recueil (rendu hier soir), et le gros roman qui se trouve encore en lecture (situé dans le même univers et en donnant un portrait plus large). Bodichiev, c’est de l’orfèvrerie, du travail de miniature : des nouvelles et novellas policières et/ou d’ambiance, quelque part du côté de Ngaio Marsh ou Dorothy Sayers, Simenon et Agatha Christie, disons, mais en toute modestie et l’élément SF en plus (dirigeables, I.A., événements étranges, uchronie). Folio excepté ce n’est pas en librairie, mais la série peut par exemple être acquise ici :

#5051

Trois jours chez mon camarade Michel Pagel, mon plus vieil ami — 42 années bientôt —, seront mes seules véritables vacances de l’été. Des chats, des livres, des mots, des étoiles, la chaleur et, surtout, tout cet immense silence de la campagne. Un silence que, en fond de combe ou chez la voisine sur un léger promontoire, j’ai écouté profondément, presque avec surprise. Entre les deux maisons s’érige l’épaule beige d’une colline entièrement labourée, haute dans la nuit comme une montagne feutrée, plus immobile encore que le reste du silence.

#5050

Cette nuit, bousculé entre coups de chaud et brises froides, entre draps froissés et oreillers doux, j’ai rêvé du corps d’un garçon, puis de la compagnie d’un autre, puis j’ai lu un bout d’un polar se déroulant à Rome dans des décors que je connais — la place Navone — et sur lesquels j’ai écrit, puis j’ai bu un peu d’eau fraîche et me suis assis dans le patio, au sein de la végétation indistincte, en me disant que déjà l’été s’achevait, puis serein dans ma solitude, au milieu du grand silence encore, suis monté me recoucher.