#2375

Cette nuit j’ai vu des fantômes.

Bousculé dans la journée par une alternance serrée de mauvaises et de bonnes nouvelles qui me secoua sans doute un tantinet les nerfs, le sommeil se fit malaisé cette nuit. Les contrariétés diurnes tournent et retournent sur la platine nocturne, à quoi penser pour ne plus penser, qu’évoquer qui conduise sur les chemins de Morphée ? Écouter les rumeurs de la ville, le vasistas demeurant entrouvert. Les longs cris liquides des rails, le roulement de basse d’un train, le ronflement diffus du boulevard, un tintement lointain, un claquement plus proche, si peu, presque rien, les sons assourdis de la nuit à travers l’oreiller. Une chatte se glisse au creux de mon bras, son ronronnement couvre tout le reste, je me sens glisser, l’image d’une plage, les fleurs jaunes des genêts. Pourquoi n’y a-t-il pas de mouettes à Bordeaux ? Sotte question qui remontant à la surface de ma conscience m’entraîne avec elle dans la lueur poudreuse qui coule du ciel sur le lit. C’est vrai ça, tout de même, pourquoi si peu de mouettes dans une ville à l’influence océanique aussi marquée ? Mais il est vrai que des mouettes, on n’en voit pas beaucoup non plus sur le bassin d’Arcachon, les mouettes ne seraient-elles pas tellement atlantiques ? Je le regrette ; dans toutes les villes de la côte sud anglaise, en Devon et en Cornouailles, ces énormes volatiles blancs, mouettes ou goélands, leurs criailleries râleuses, marquent si bien la présence de la mer. Un grincement me réveille, le masque blanc d’une des chattes surgit des replis de la couette, cliquetis des griffes dans l’escalier. Descendant derrière elle, je passe de la cuisine à la terrasse, sous une demi-lune brumeuse, frissonnante. L’arbre de la vieille dame secoue ses têtes veloutées, un souffle emporte le vrombissement d’une moto et la senteur du lilas.

#2374

Une bonne moitié des fleurs de mon jardin vibrent dans des nuances de cyan et, en fin de journée, dans l’heure bleue qui voile le jour juste avant la nuit, toutes ces fréquences d’ultraviolet se sont mises à trembler, comme plus intenses, comme une respiration végétale.

#2373

Turdus merula. C’est le vilain nom du seul hôte à plumes des environs de mon jardin, en ce moment, exceptée une tourterelle. À eux deux, le merle noir et le pigeon gris et blanc, ils suffisent à emplir tout l’espace sonore. On discerne bien quelques gazouillis alentours, mais éloignés, la seule proche activité demeurant les passages du merle, perché sur la branche morte de l’arbre qui surplombe le haut mur du jardin, ou bien tout en haut de la maison voisine, sur l’antenne télé. Et ça trille, et ça trille. De temps en temps, la tourterelle dont les roucoulements forment la basse de cette musique, vient le chasser dans un froissement d’ailes et un claquement de rémiges.