#2529

Vu en librairie l’album avec tout un village de schtroumpfettes. Impression d’étrangeté un peu inquiétante, qui rejoint les théories qu’avait Alexandre Mare dans son article « The village schtroumpf » (in Sexe !, chez les Moutons électriques, rééd numérique récente) et croise une bédé de Thierry Martin relue hier soir dans son gros recueil, où il existe aussi un village d’autres lutins, les schbrols : « ils ont l’air encore plus terribles que les autres, se dit Gargamel terrifié, ça doit être une hallucination »…

#2528

Il y a en bande dessinée des sensibilités, des styles, qui me « parlent » plus que d’autres. Ainsi est-ce dès leurs tous débuts que j’ai été attiré par les travaux de Lewis Trondheim, de Jean-Christophe Menu (tous les deux dans des fanzines) ou de David B. Plus tard, j’ai ressenti un attrait comparable dès les premiers travaux de Jean-Philippe Peyraud, de James, de Nylso, de David De Thuin, d’Hugo Piette, de Pau… Autant de bédéastes pas spécialement célèbres je suppose mais qui construisent sur l’héritage classique de la BD franco-belge, « gros nez » et « ligne claire », pour parfaire une patte personnelle, une élégance frêle et bien reconnaissable. Thierry Martin me semble également être de ceux-là, en tout cas dans mes goûts personnels, mais les premières fois que je me suis intéressé à son travail c’était pour des raisons cocassement anecdotiques car familiales : lorsque ma maman était étudiante, à Tours, elle logeait chez sa grand-mère. Mais mon attention fut vite captée, pour de bon.

Et puisque je viens d’évoquer un splendide pavé, par Mattotti, autant que je parle aussi du Hors cadre de Thierry Martin, chez Black & White éditions. Un grand et gros album jaune, de beau format presque carré mais pas tout à fait, qui a l’audace de constituer une intégrale des travaux de Martin à ce jour : étonnant, pour un relativement jeune dessinateur, et si peu connu. C’est donc toutes ses histoires semées dans Spirou, en particulier, que l’on retrouve là et c’est un grand plaisir, le bonheur du trait et celui de pas mal d’hommages, avec Spirou & Fantasio souvent en avant (qu’il est navrant que la direction de Dupuis n’ait pas retenu son projet d’album, ça dit bien à quel point cette collection des « one shot » de Spirou & Fantasio peut être mal dirigée alors qu’elle donne naissance à nombre d’albums médiocres) — et la bonne nouvelle, apparemment un Mickey en cours pour Glénat. Une belle somme, inattendue et qui se déguste : pour moi une gourmandise.

#2527

Il y a déjà bien des années de cela, me trouvant de passage à Paris je suis allé voir mon excellent camarade Sam, qui bossait alors chez Buchet-Chastel. Lequel ami me déclara qu’il lui fallait rendre à quelqu’un un rouleau de documents, viens donc avec moi, on discutera en route. Nous partîmes donc, empruntâmes le métro jusqu’au boulevard de Ménilmontant, poussâmes un lourd portail en fer sous une vaste voûte, grimpâmes un escalier au-dessus d’une cour élégante, et… que vis-je sur la boîte à lettre du pallier ? D’une calligraphie familière, le nom « Avril ». Délicieux traquenard : Sam m’avait amené à l’atelier de François Avril, artiste que j’admire entre tous.

Surmontant pour une fois ma timidité face aux illustrateurs, je papotais donc avec Avril, très sympa, un rugueux mais passionné Parisien, au sein de son grand atelier dont chaque centimètre-carré de mobilier se recouvrait d’une multitude de petits dessins du maître sur des bouts de papier volants. Au bout d’un moment, on sonne à la porte, et entre… Lorenzo Mattotti. Là, je fus repris par mon trac, c’est à peine si je parvins à bafouiller un quelconque bonjour en lui serrant la main. Avril et Mattotti, dans la même pièce, les deux artistes entre tous dont le moindre dessin me soulève de bonheur et d’admiration. (Ensuite arriva Moebius, si, je vous jures) (Et ensuite j’eus l’occasion deux fois de publier Avril, trop gentil de me confier de ses œuvres pour le vil prix que je pouvais payer)

Bref, tout ça pour dire que je viens de lire Guirlanda, le nouvel album de Mattotti, chez Casterman, un monumental pavé dialogué par Kramsky, et que j’en suis remué / enthousiasmé. Maître de la couleur, lorsque Mattotti se met au noir et blanc c’est également magistral, comme l’avaient déjà prouvé deux des plus beaux albums que je connaisse, L’Homme à la fenêtre et Stigmates. Et il revient là encore dans le domaine du merveilleux, en hommage aux Moumine, à Moebius et à Fred, et c’est oooh, et aaah, et wooow…

Sur les traces de Frankenstein

C’était il y a déjà dix ans de cela. La collection phare des Moutons électriques était alors la « Bibliothèque rouge », un concept assez original que j’avais mis au point avec la complicité de Xavier Mauméjean : des biographies de grandes figures mythiques de la littérature populaire, en particulier du roman policier. Nous avions publié des bio de Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Hercule Poirot, Fantômas, Maigret et James Bond… et nous avions envie d’élargir un petit peu la collection. Vers l’aventure, par exemple. Un projet sur Conan commençait à prendre forme, un autre sur Tarzan échoua à de multiples reprises, et je bossais alors avec une assistante, Isabelle Ballester, et un stagiaire, Nicolas Lozzi.

En discutant avec eux, une envie nous vint de traiter de deux autres grandes figures mythiques, cette fois du fantastique : Dracula et Frankenstein. Immédiatement, Isabelle me demanda à lui laisser le grand vampire, auquel elle s’intéressait alors. Et tout naturellement, j’eus envie de me pencher sur le monstre de Frankenstein…

Enfin, « tout naturellement », c’est vite dit : très porté à la fois sur la fin du dix-neuvième et sur l’entre-deux-guerres, je n’avais pas particulièrement de compétences dix-huitiémistes — mais je pris cela comme un défi. Je me sentis très excité, en fait, par cet imaginaire qui s’ouvrait soudain devant moi : le romantisme, la première révolution industrielle, le gothique… Je me plongeai avec délice dans toute cette culture, lus des biographies de Percy Shelley et de Lord Byron par Maurois, me plongeai dans les vies tumultueuses de Mary Shelly, de Polidori ou de Claire Clairmont, étendis mon intérêt aux Lunar Men d’Erasmus Darwin, relus à la loupe le Frankenstein de 1831, découvris celui de 1818, dévorai quantité d’essais, allai même dénicher l’autobiographie du prétendu pirate John Trelawnay… Bref, ce fut pour moi l’occasion d’une plongée aussi rafraichissante qu’enrichissante dans plusieurs époques, avec le défi intellectuel de relier tout cela, de tisser les créateurs et la créature ensemble, si j’ose dire.

Quelques années plus tard, je me rendis chez un illustrateur afin de récupérer chez lui des travaux autour des mythes lovecraftiens – nous préparions Les Nombreuses vies de Cthulhu (dont la réédition vient de sortir, sous le titre Cthulhu !). J’étais pas mal en avance, il faisait beau, je m’assis sur un banc dans un square et, ayant apporté pour l’offrir mon Frankenstein, je me mis à me relire. Je n’ai pas l’habitude de m’admirer dans le miroir de ma propre prose, promis, une fois un livre paru je ne le relis à nouveau que s’il faut effectuer une réédition… Mais cette fois, je me relu, avec l’œil neuf, le recul que procure le relatif oubli de ce que l’on a bien pu rédiger auparavant… Et dois-je l’avouer ? Il me sembla ‘achtement bien, ce petit livre ; certainement une des meilleures choses que j’avais jamais écrite, en fait.

Alors voilà, l’an dernier comme nous cherchions s’il n’y aurait pas quelques anciens textes des Moutons électriques auxquels nous pourrions donner une nouvelle vie… je me souvins de mon Frankenstein, qui correspondrait sans doute bien à notre nouveau petit format. On allait fêter les 200 ans de la création du roman, parfait. Et puis tenez, le hasard faisant bien les choses, Mauméjean avait bossé sur Frankenstein pour une dramatique de France Culture : il me fit un excellent directeur littéraire pour cette réédition. Sous sa docte férule, je repris, retouchai, repeignai, augmentai un petit peuSur les traces de Frankenstein naquit ainsi. J’ai reçu les premiers exemplaires mardi dernier. Il sera en librairie début mai.

Frankenstein