#2650

Je porte deux sortes de livres fantômes. Il y a ceux qui sont écrits mais ne sont jamais parus — deux suites de romans que les premiers éditeurs ont jugé de vente insuffisante et ce recueil psychogéographique dont l’éditeur ne s’est finalement pas concrétisé ; regret. Alors ceux-là, allez savoir, peut-être trouveront-ils un jour chaussure à leur pied, au moins sont-ils écrit, ils pourraient sortir, posthumes si besoin. Mais il y a aussi ceux que je n’ai pas terminé, et puis encore ceux que je n’ai pas écrit — ç’en fait deux maintenant que j’ai longuement cogités, amplement documentés, construits dans ma tête au point de me dire que leur écriture serait aisée, et puis patatra ! l’éditeur laisse tomber, livre annulé. Je viens de connaître l’un de ces discrets avortements livresques, et ma foi c’est du travail en moins, très bien, mais les idées étaient là et alors que les projets achevés voient généralement leur sujet s’étioler en moi, la connaissance acquise se faner, tandis que ces volumes parus prennent la poussière tout là-haut sur les deux étagères au ras du plafond où s’entassent livres de moi et livres avec moi, curieusement ces livres fantômes-là continuent à passer dans mon paysage mental, à me hanter un peu, en silence, intimement.

#2648

Un ami et collaborateur m’écrit à l’instant, dans un fil de réflexion, que « l’air du temps ne semble plus guère à une littérature trop intellectuellement exigeante », et à discuter avec un jeune collègue hier soir nous constations le niveau médiocre des dialogues dans trop de romans d’imaginaire étiquettés « young adult ». Des réflexions qui n’améliorent pas mon humeur matutinale — influence de la pluie et de ce ciel de nouveau à la grisaille, allez savoir. Et les doutes d’une de mes autrices alimentent ce que je qualifierai d’angoisses existentielles — des vibrations négatives que je ressens depuis maintenant un sacré bout de temps en fait, depuis au moins la fin de l’année antépénultième, c’est dire. Mon confrère de chez l’Arbre vengeur me disait une fois avoir lu dans les mémoires de Robert Laffont évoqué ce « bruit de fond » de l’anxiété de l’éditeur ; j’ai tout de suite su de quoi il parlait. Les doutes, les interrogations, les incertitudes, par moment j’ai l’impression que cela constitue une bonne partie de mon métier. Un sentiment de fragilité, soutenu par quoi ? Quelques chaleurs au cœur, une passion chevillée à l’âme, des collaborateurs précieux, et toujours l’excitation intellectuelle des nouveaux projets, des prochains livres, des manuscrits en cours, des découvertes. Ni déprimé ni pessimiste, pas triste mais souvent tendu : recherchant le soleil.

#2647

Depuis la fin de l’année dernière, je lis ou relis beaucoup de bédés, plutôt du gros nez « vintage », à savoir du Greg (après l’intégrale Achille Talon, ses Zig et Puce ainsi que les Babiole et Zou et Les As que j’ai), du Franquin of course, les histoires longues du Cubitus de Dupa (tu avais raison JPJ, à chaque fois le scénar se barre un peu en vrille), les Félix de Tillieux, les Olivier Rameau de Dany & Greg, et puis en ce moment les Petits hommes de Seron, qui vieillissent diablement bien je trouve.