#2765

J’évoquais les doublons de ma bibliothèque : parmi ceux-ci est un Flaubert, Par les champs et par les grèves. J’en ai deux, je pensais en avoir trois — je ne remets pas la main sur une édition complète récente, celle qui comprend également la part de Maxime Du Camp, serait-elle restée auprès de mon flaubertien d’Olivier ? Tant pis, m’en reste encore deux, dont les sommaires diffèrent légèrement par l’inclusion de tel ou tel fragment supplémentaire. Je redécouvre dans l’une d’elle que ce jeune fat, il n’avait que 19 ans, n’apprécia guère Bordeaux : « Ce qu’on appelle ordinairement un bel homme est une chose assez bête ; jusqu’à présent, j’ai peur que Bordeaux ne soit une belle ville. Larges rues, places ouvertes, beaucoup de mouchoirs sur des têtes brunes, telle est la phrase synthétique dans laquelle je la résume avant d’en savoir davantage. II me faut pour que je l’aime quelque chose de plus que son pont, que les pantalons blancs de ses commerçants, que ses rues alignées et son port qui est le type du port. II n’y fait, selon moi, ni assez chaud ni assez froid ; il n’y a rien d’incisif et d’accentué : c’est un Rouen méridional, avec une Garonne aux eaux bourbeuses. » Tss.
 
Je reviens assez souvent picorer dans Par les champs et par les grèves, pour le plaisir de la langue, des descriptions. Cela, par exemple : « La grève parut noire. Un carreau d’une des maisons de la ville, qui tout à l’heure brillait comme du feu, s’éteignit. Le silence redoubla; on entendait des bruits pourtant : la lame heurtait les rochers et retombait avec lourdeur ; des moucherons à longues pattes bourdonnaient à nos oreilles, disparaissant dans le tourbillonnement de leur vol diaphane, et la voix confuse des enfants qui se baignaient au pied des remparts arrivait jusqu’à nous avec des rires et des éclats. » Et encore : « La marée venait et montait vite ; les rigoles se remplissaient; dans le creux des rochers la mousse frémissait, ou, soulevée du bord des lames, elle s’envolait par flocons et sautillait en s’enfuyant. »

#2764

Dans le flot de tout ce que l’on écrit, il y a forcément des choses qui nous plaisent plus que d’autres, pour des raisons et à des degrés très différents. Ainsi je pense que ma longue préface à un recueil de Thomas Burnett Swann, pour Folio-SF, est sans doute l’un de mes meilleurs textes. J’ai également une grande tendresse pour mon deuxième polar jeunesse — las, celui-ci n’est jamais paru, la collection ayant été supprimée, et aucun éditeur ne daigne jamais répondre, je viens donc d’encore envoyer mes deux polars jeunesse à deux autres maisons… Les nouvelles formant le cycle de Bodichiev, que les Saisons de l’étrange viennent de publier en deux volumes signés Olav Koulikov, sont vraiment mon travail d’amour, la prunelle de mes yeux, et j’éprouve une grande émotion à ce qu’elles soient enfin disponibles, après une quinzaine d’années de refus divers et variés (enfin, pas si variés que cela : c’était toujours trop polar et pas assez SF, ou bien trop SF et pas assez polar). Les trois bios, celles de Holmes, Lupin et Poirot, me sont chères bien entendu. Et puis il y a un petit article, « Jeunesse des terrains vagues et de la rue », paru au sommaire du volume Jeunes détectives, les vies. Comme il est envisagé que ce recueil d’essais ressorte un jour en poche Hélios, je viens de le retoucher, y ajoutant en particulier un paragraphe sur ma lecture d’hier soir, un Daniel Picouly assez délicieux, dans le style farfelu de Pennac mais pour la jeunesse (Hondo mène l’enquête).

#2763

J’ai rangé ma bibliothèque. Rien que de très habituel, me direz-vous, mais ce fut cette fois des travaux d’un peu plus d’ampleur que d’ordinaire. Au-dehors le temps se gâtait (et je ne parle pas que de la dégradation du lien social ou des interdictions de journalistes, je veux parler de la pluie battante et d’un orage impressionnant) et en dedans ce n’était pas terrible non plus (je suis malaaadeuh, rien de grave mais pas plaisant et plutôt fatigant malgré tout), et puis JDB m’a écrit qu’il allait passer le mois prochain reprendre son stock de livres prêtés (merci encore, mon ami), et dans un sursaut d’énergie, follement, j’ai donc rangé les précieux opus dans des cartons et, ce faisant, déblayé une longue étagère complète. Le rangement s’imposait donc, courage. Allez, « seulement » des lettres A à J, essentiellement, mais il y a de la longueur et de la hauteur. Bref, ça va mieux ainsi, ça respire un peu. En sachant que cette fois, l’horizon est atteint, ne restera plus que la solution des entassements, à nouveau. Enfin, c’est toujours amusant (un rien m’amuse), de ranger une bibliothèque, je suis un rangeur. C’est celle qui occupe le mur principal de mon bureau, celle des romans tous genres confondus — polars exceptés, qui sont sur l’autre mur, et hors jeunesse, qui est à l’étage.

Ce genre d’occasion permet de redécouvrir quelques romans achetés il y a un bail et que je n’ai toujours pas lu (un Ayerdhal, par exemple, le Steven Aylett conseillé par Moorcock, le deuxième Becky Chambers…), ou plus récemment (le dernier Jasper Fforde et les deux derniers Jeffrey Ford), d’éliminer quelques très rares doublons — mais pas tous : comment choisir entre The Jaws That Bite, The Claws That Catch et The Girl With a Symphony in Her Fingers de Michael G. Coney ? C’est le même roman sous deux titres différents, l’un en trade paperback sous couverture et avec des illustrations de Kelly Freas, l’autre c’est le hardcover anglais ; en français il est dans le recueil Péninsule des Moutons électriques, pub) ; ou entre The Ghost in the Electric Blue Suit et The Year of the Ladybird de Graham Joyce, oui c’est également le même roman sous deux titres différents, l’un en hardcover, l’autre en B-format, tous deux superbes… Cela permet également de se faire quelques envies de relecture, car je relis beaucoup, là par exemple je termine la relecture de la trépidante série de fantasy urbaine de Mike Carey, les « Felix Castor » (curieusement plantée en France par un éditeur distrait qui en débuta la traduction… par le deuxième tome). Et pourquoi diable n’ai-je aucune édition de L’Éducation sentimentale de Flaubert ? Il va me falloir remédier à ce scandale. Enfin bref, cela m’a distrait un moment et permit quelques feuilletages agréables.

« Toute bibliothèque répond à un double besoin, qui est souvent aussi une double manie : celle de conserver certaines choses (des livres) et celle de les ranger selon certaines manières. » (Georges Perec)

#2762

Longtemps flâné ce matin à la brocante Saint-Michel, en dépit de la grisaille nuageuse et du peu de bouquins. Il y avait malgré tout comme un petit air estival et j’apprécie toujours d’entendre le monsieur au limonaire chanter l’amant de Saint-Jean, ça met du soleil.