#2516

J’avais lu Jean Ray, dans le temps, lors de ma jeunesse dévoreuse de livres. Je me souviens vaguement du Carrousel des maléfices, de Malpertuis, des Contes du whisky… (plus les Harry Dickson bien entendu, mais c’est un autre sujet) Mais je n’avais pas plus approfondi, ayant beaucoup moins d’appétence pour le fantastique que pour le polar, la SF et la fantasy. L’âge venant, pourtant, je me mets à lire un peu de fantastique, domaine que j’ai conscience d’avoir bien trop négligé dans la constitution de ma culture. J’ai donc lu ou relu depuis que je suis à Bordeaux un peu de Perutz, de Seignolle, de Maupassant, de Nerval… Relu les trois Terence M. Green que j’ai (un auteur canadien des années 1990), Si j’étais vous de Julien Green… Et puis sont arrivées les nouvelles éditions de Jean Ray chez Alma, et j’ai plongé. Avec délice. Le style, l’atmosphère… Ah ah, ça c’est de la littérature de l’imaginaire, de la bonne, de la charnue, pleine de « mots compliqués » comme diraient certains crétins qui se prétendent chroniqueurs de nos jours… Lorsque je lis une phrase comme celle-ci, moi je jubile :
« Un carillon versa sa pluie de fer et de cuivre parmi la grosse pluie d’ouest qui, depuis l’aube, flagellait sans merci la ville et sa banlieue. »

#2515

Dans mon salon, des bibliothèques s’emplissent de bandes dessinées, à craquer. J’ai été libraire de BD durant près de 20 ans. Bref, je crois pouvoir dire que je suis assez fan de BD… et pourtant j’en achète fort peu, parmi les nouveautés, de nos jours. Amateur des belles intégrales de chez Dupuis et autres rééditions patrimoniales, je ne trouve en revanche guère chaussure à mon pied parmi l’avalanche de nouvelles créations… Est-ce parce que je deviens un vieux con de la BD ? Sans doute, mais pas seulement. En fait, je me rend compte que si je trouve bien naturel de lire de vieilles BD belges où il n’y a que des héros blancs, je suis de plus en plus gonflé par le manque remarquable d’évolution sociologique du 9e art : absence des créatrices (cf. Angoulême), absence des noirs ou autres personnages non blancs (à part dans Tamara), absence des LGBT (à part dans Tamara)… la bande dessinée demeure surtout le domaine du mâle blanc hétéro, toutes les valeurs de la petite bourgeoisie traditionnelle continuent à y avoir suprématie. En dehors d’une minuscule poignée d’albums, pourquoi n’y a-t-il pas de gays comme personnages normaux et ordinaires, alors que même le cinéma et la télévision n’osent plus les ignorer ? Pourquoi les femelles fortement mamelues sont-elles encore considérées aussi massivement comme représentations acceptables ? Et même les auteurs intellos de nous asséner une idéologie hétérosexuelle pesante, comme les auteurs de L’Odeur des garçons affamés que j’ai lu il y a deux soirs de cela. Dès les premières cases ont voit fort bien que le séduisant garçon est une fille déguisée, et le héros homo d’en être conquis, et de coucher avec la fille, et allez donc – en BD il n’y a de désir qu’hétérosexuel. La bande dessinée franco-belge est réactionnaire, en retard de plusieurs décennies sur le reste des arts et de la société. Consternation.

#2514

Je répond assez souvent à des questions d’étudiants, et ce matin j’avais une liste d’interrogations par un très jeune homme qui va peut-être, aussi, devenir l’un de nos auteurs un jour. J’ai répondu de manière un peu légère, il m’amuse de vous coller cela ici :

– Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a poussé vers l’édition ?

J’ai fait l’IUT « Métiers du livre » de Bordeaux, ai commencé à faire quelques menus travaux d’édition (direction d’un recueil de nouvelles chez Denoël, comités de lecture de manuscrits chez Denoël, Fleuve Noir et Folio Junior), ai créé un fanzine, suis entré en librairie de BD tout en continuant à faire un peu d’édition. Lorsque j’en ai eu marre d’être libraire, constatant que je ne savais rien faire d’autre que vendre des livres et les fabriquer, je suis devenu… éditeur.

– En quoi consiste votre travail au sein des Moutons électriques ?

Le principal : prendre des décisions, tout le temps, à tous les niveaux. Plus concrètement, lire des textes, réfléchir à des livres, construire le programme de publication, coordonner nos sorties, préparer des documents pour le diffuseur, discuter avec le diffuseur, travailler avec les auteurs, gérer les mails quotidiens, faire des comptes, tenir le prévisionnel de trésorerie, me faire des cheveux blancs, discuter avec le graphiste, discuter avec le chef de fabrication, discuter avec l’équipe, discuter avec les associés du collectif « Indés de l’imaginaire », discuter avec le webmaster, alimenter le site web, déposer les documents chez les imprimeurs, préparer le courrier, trier les factures, effectuer les paiements, relire des épreuves, écrire des articles et des infos… et parfois, mettre en page un livre, mais cela, c’est plutôt du domaine de l’assistant éditorial.

– Quelle(s) facette(s) de votre métier préférez-vous ?

Disons que les côtés paiements / gestion / impôts (plein d’impôts, bien trop d’impôts) sont les plus pesants, les moins intéressants. Tout ce qui est lié plus directement aux livres eux-mêmes est passionnant, monter des projets, finaliser des textes, choisir des couvertures…

– Quels sont les traits, selon vous, d’un bon éditeur ?

Il faut avoir du « nez » !

#2513

Quitté Bruxelles. Cependant que défilent de fugitifs paysages brumeux, quels souvenirs de ce séjour? Des gouts : le thé noir du matin versé par Sara ; la fumée de la tisane de sarrasin grillé ; le miel du thé de Damien, à la frangipane ; la sombre douceur des « vieilles brunes » ; le crémeux du tandoori au vin rouge de Pierre ; l’épice parfumé du dîner éthiopien… Des images : un gratte-ciel comme dessiné par Chaland ; un théâtre entre pagode et église de pierre aux teintes alternées ; les moutons du petit parc d’Yser ; les voutes de brique et d’acier comme le cul d’un Nautilus ; les chaudes vibrations des Rik Wouters ; les reflets sur le canal ; la pénombre orangée des tunnels du métro comme une sombre cité souterraine avant la gare du Midi… Des sons : les ronronnements de Naïs ; les rires de Nathanaelle ; la grosse voix de Stefan ; le wouch-wouch de l’éventail de Juan-Lorenzo ; les lourds corbeaux matinaux… Et hélas les longues heures d’ennui à attendre l’hypothétique lecteur, les jambes raides, les pieds douloureux, les yeux qui piquent…