#2620

Je confiais il y a peu à ma copine Sylvie Denis que lors de la sortie de son recueil en Folio-SF, Jardins virtuels, il y a maintenant pas mal d’années, j’avais été presque aussi heureux/fier que s’il s’était agit d’un de mes propres bouquins. Je suis ainsi avec les livres, parce que mon entourage est notablement constitué d’écrivains, certaines parutions me « touchent » presque intimement. Un nouveau Calvo, par exemple — je viens juste d’acheter Toxoplama et ai hâte de le lire. Ou bien cette bio de Philip K. Dick en bédé, que viens juste de sortir mon excellent camarade Laurent Queyssi et qu’il m’avait fait lire en avant-première sur mon iPad. Ou ainsi encore d’un nouveau Xavier Mauméjean, par exemple.

Eh bien, c’est que c’est un ami, mais plus encore, j’ai écrit plusieurs essais avec lui — les bio de Holmes et de Poirot, que la collection de poche « Hélios » vient de juste rééditer avec ma bio solo de Lupin. Et lorsque Mauméjean, mon excellent camarade Xavier, sort un nouveau roman (dernier en date : La Société des faux visages) je suis curieux, très curieux. Curieux de savoir quelle « machine » il a fabriqué et de voir comment elle fonctionne. D’autant que la veine qu’il explore depuis maintenant trois romans n’est guère éloignée de ce qui motiva nos biographies. Les commentateurs germano-pratins, jamais à cours d’inculture, ont récemment forgé l’étiquette d’exofiction pour les plus ou moins bio romancées, les vies réinventées, ce genre de choses — pour la fiction, quoi ! Alors avançons que Mauméjean est le roi de l’exofiction, et pas depuis peu. Avec Alma il semble avoir de plus trouvé son éditeur idéal, des petits formats élégants, sobres à la française, et cette fois il propose un titre fort mystérieux, une énigme très étrange, une histoire bien folle. C’est étonnant combien ces « exofictions » mauméjeanesques fonctionnent bien pour moi, alors qu’elles se situent en dehors de mes propres sentiers lus et battus. Je ne saurai dire exactement pourquoi, je ne me prétend pas « critique », il y a cette documentation subtilement glissée (touchant du doigt presque son versant essayiste), il y a cette sécheresse de style (moi qui aime le lyrisme), il y a cet étonnant intellectualisme de concept allié à une tendresse pour ses protagonistes (cette fois Houdini, Freud et Jung), cet imaginaire de l’étrange, du freak, du tordu, curieusement plus souvent chaud que sombre. Drôle de type, Mauméjean. Je l’aime bien. Et idéal, cet éditeur l’est vraiment pour lui : rouge, brun, violet, voici déjà trois jolis petits volumes qu’il aura aligné chez eux, on a envie d’en avoir d’autres. Le brun, c’était son précédent, ce Kafka à Paris si léger et étonnant, comme une sorte d’aventure de Spirou (Franz Kafka) et Fantasio (Max Brod) dans le Paris de la fin d’été 1911. Avec beaucoup d’humour, fait d’absurde et de tendre ironie. Avec une belle langue charnue. Avec de jolies tranches de psychogéographie (il n’y a pas pour rien, en tête de roman, une citation de Walter Benjamin). Avec de nombreuses rencontres et un usage formidablement vivant de la documentation historique.

Et le rouge c’était son premier, American Gothic, oserai-je le qualifier de majeur ? Cela demeure mon impression, en tout cas : un roman qui parvient à dédoubler la légende d’Henry Darger en la teintant de Oz, qui accumule les simples (?) documents tout en parvenant à créer un puissant effet de suspense. Pour moi, une fiction virtuose, un merveilleux vertigineux, dupliquant à sa manière la froide jubilation d’un Steven Millhauser et la brûlure d’un Jonathan Carroll…

Bon, la suite monsieur Mauméjean ?

#2619

Une chose qui me fascine de longue date, ce sont les créations d’univers non publiées, les univers personnels, que des enfants plein d’imagination développent pour leur plaisir, seuls ou avec frères et sœurs ou copains. Ces « univers invisibles », on en parle un peu lorsqu’ils ont été créés par des écrivains, par exemple : ainsi des histoires macabres et fantasques que les jeunes Christopher Isherwood et Edward Upward s’amusèrent à rédiger durant les années 1920, lorsqu’ils étaient étudiants à Cambridge. Christopher Isherwood (rendu plus tard célèbre pour Adieu à Berlin et A Single Man) et son ami d’enfance Edward Upward (connu en Grande-Bretagne pour sa longue suite autobiographique) engagèrent alors sur le papier une lutte contre le système académique et le snobisme — en créant le monde de Mortmere, un village habité par des personnages modelés sur leurs profs, amis et relations. En partie détruite, ces fictions juvéniles furent retrouvées, partiellement reconstituées par Upward, des fragments collectés, dans un volume finalement paru en 1994. Passablement plus célèbres sont la Cité-État de Glasstown, le royaume de Gondal et le territoire d’ Angria. Mais si : il s’agissait de l’univers de fiction créé par les enfants Brontë, Charlotte, Anne, Emily et Branwell.

De telles créations existent également sous forme graphique — bande dessinées d’enfance, par exemple, mais j’eus le délice un jour de découvrir qu’un copain bédéaste (que je ne puis nommer ici) réalisait depuis des années carnet après carnet d’une très belle BD chroniquant de manière un peu décalée l’existence intime de sa famille. Un projet purement personnel, non destiné à la publication en dépit de tout l’effort et le talent mis dans sa réalisation. Jean-Christophe Menu pour sa part déploya un univers inspiré de ses lectures — Macherot, Franquin, Tillieux, les petits formats, les reliures de Spirou, les Mickey Parade — depuis son plus jeune âge : les aventures de Lapot. Il en conte la genèse et le développement dans Krollebitches, fort justement sous-titré « Souvenirs même pas en bande dessinée ». Curieuse et attachante autobiographie, au ton grognon et un peu vulgaire qu’affectionne cet auteur, comme toujours brillant et incisif. Disons, une « sorte d’autobiographie » par ce bédéaste et éditeur (il co-créa et dirigea la fameuse Association, bien sûr), sous forme d’évocation des chocs BD de son enfance, de ses débuts, de sa jeunesse. Une lecture qui m’intéresse à plusieurs niveaux, puisque Menu a mon âge, que je le suis depuis toujours — je lui achetais ses fanzines à chaque Angoulême, autrefois : Journal de Lapot, Le Lynx à tifs… — et que tant ses propres œuvres que son parcours me « parlent », bien souvent. Quoique n’ayant jamais eu l’occasion de discuter avec lui, j’ai l’impression d’un peu le connaître, et ses souvenirs / analyses offrent une lecture assez originale. Une vie en livres, en pages, versant « culture populaire », forcément que cela me parle. Et en lisant les quelques albums effectivement publiés de Lapot (un peu d’auto-édition et un volume de la petite collection « X » de Futuropolis) je sentais bien qu’il existait tout un univers derrière ces personnages, que cela prolongeait une longue création de jeunesse. Œuvre invisible, fantôme, dont l’évocation est fascinante.

#2618

… où le capitaine, désagréablement fébrile et attigé d’une crève peu étonnante en regard de 1/ les récentes visites d’un individu à la voix suspectement éraillée ; 2/ la panne non moins récente de la chaudière (maintenant réparée) ; et 3/ une averse aussi traitre que copieuse prise l’autre jour… Bref, le capitaine, peu vaillant et tremblotant, de se rassurer quant au maintien de son sérieux professionnel, puisqu’il peut se blottir dans un canapé tout en sachant qu’il lit pour « raison pro », rien moins que cinq manuscrits venant de tomber dans sa liseuse.

#2617

Entre les lectures diurnes – en ce moment beaucoup de bédés -, les lectures du soir – un amusant polar victorien magique et gay, rien que ça, de Melissa Scott – et les lectures nocturnes, d’insomnies – sur la liseuse, la suite des The Shadow et les Sœurs carmines – je frôle sinon la dispersion, du moins une forme étonnement plaisante de schizo…