#2859

Presque tous les dimanche matin, c’est-à-dire lorsqu’il ne pleut pas, je réponds à l’appel des deux marchés : les halles des Capu et la brocante de saint Mich. Selon les fois et les autobus, j’arrive par le long arc et le brasier bleu des quais, ou bien par la cohue du trottoir trop étroit avant le carrefour qui ronfle et fume. Et curieusement, en six ans je ne me suis toujours pas lassé. Également curieux que m’amuse tant cette plongée dans des foules, pour un vieux mec qui n’apprécie guère cela dans toutes autres occasions.

Eh bien là, semaine après semaine, chaque fois c’est semblable et différent : dimanche dernier les stands rares grelotaient sous un ciel glacial et des coups de vents, et je ne rapportai qu’un mince volume de Rimbaud — souhaité depuis longtemps, tout de même : enfin les textes, seulement les textes, sans toutes ces fichues notes où des profs croient bon de livrer « explications » et commentaires, fichus parasites, laissez donc Rimbaud parler. Aquarium ardent et aube de juin batailleuse : laissez-nous en trouver le sens, ou pas, c’est Rimbaud que l’on dénature à coups de notes de bas de page.

Ce matin, sur le bitume vernis d’humidité se pressaient les stands en grand nombre, sans parler des dames à brushing et des messieurs à poil blanc qui tractaient pour le candidat du clan présidentiel, et j’ai rapporté une poignée de Colette, Carco et Dabit, un Renée Dunan polardo-coquin ainsi que quatre jolies revues Pif des années 60. Papier humide, trouvailles au hasard, matin doux.

#2858

Éprouvant le besoin de respirer, faire quelques pas sur la terrasse humide, sous un ciel brouillé où la brume et la nuit s’empoignent pour ne plus faire qu’un bloc. Avec ce sentiment d’appartenance intime au moment nocturne s’installe une sorte de flottement, comme une houle de l’obscurité à laquelle répond d’ailleurs un grondement ferroviaire.

#2857

Venant de lire en partie le gros recueil de Jean-Pierre Hubert concocté par Richard Comballot chez Rivière Blanche dans un superbe devoir de mémoire, j’en suis ressorti avec un certain vague-à-l’âme tant il me semble que son œuvre a mal vieilli, allant des stratégies narratives seventies au formalisme eighties jusqu’à une certaine abstraction sèche, sans rien comprendre finalement de ce qui agitait la science-fiction. Une œuvre à côté de la plaque, historiquement intéressante mais néanmoins un échec en fin de compte, ai-je l’impression. Il faudrait que je relise certains de ses romans. Curieux comme en musique de tels « péchés » constitueraient une patine, voire même une identité, alors qu’en littérature ça me semble constituer une forme d’impasse.

Jean-Pierre Hubert fut important, pour moi : j’adorais ses textes, à l’époque, et l’ayant rencontré lors de ma première convention, à Bordeaux en 1981, je lui avais demandé pourquoi il ne réunissait pas ses nouvelles en recueil : il m’avait dit être incapable d’effectuer de tels choix — « Et pourquoi tu ne t’en occuperais pas, toi ? ». Ainsi fis-je mon premier job éditorial « pro », pour Denoël, alors que je commençais mes études — la directrice de collection refusa que mon nom apparaisse dans Roulette mousse, car « ça ne se faisait pas »… Peu d’années après, eh bien ça c’est mis à se faire tout à fait couramment. Toujours est-il que Jean-Pierre me prit sous son aile, il fut mon premier mentor, attentif et doux. Je le perdis un peu de vue plus tard, il s’était éloigné du milieu SF tant son échec littéraire lui inspirait d’amertume, tout de même il avait acheté une part sociale dans les Moutons électriques ; et en mai 2006 la nouvelle de son suicide fut mon premier deuil, je me revois pleurant entre les bras de mon premier stagiaire…