#2855

Dans quel monde on vit ? M’étant rendu en ville chez un marchand de thé, j’y fus reçu presque comme si je leur demandais quelque drogue fâcheuse : du tarry souchong, fi donc, vous n’y pensez pas, c’est interdit par l’Union Européenne ! Tiens donc ? Bien, je m’en retourne donc en mes pénates, et chemin faisant me souviens d’avoir entendu dire que certaines marques dont le fumage du thé noir était effectué avec n’importe quel combustible s’était vu interdites de vente… Bon, soit. Je cherche sur le web : tout le monde vend toujours mon thé favori, sauf ladite maison. Euh, hem. Oh, et en rentrant j’ai vu passer sur les quais la devanture d’un vendeur de CBD. Mais dans quel monde on vit ?

#2854

Ces deux derniers étés, j’ai écrit des romans — courts, dans le temps que je pouvais m’impartir. L’un a trouvé preneur, l’autre pas (pas encore, fit-il en feignant l’optimisme). Menace sur l’Empire et Après la guerre. J’ai réalisé, discutant ce week-end avec mes amis graphistes, qu’un instant je mélangeais le début de l’un avec l’autre : c’est que les deux remontent et bouclent, en quelque sorte, un imaginaire personnel développé il y a déjà longtemps, celui de certaines années lyonnaises, et que je me suis efforcé dans ces deux textes de capter, de circonscrire assez complètement. Menace sur l’Empire, il s’agissait tout d’abord d’un synopsis développé pour un copain bédéaste, qui n’alla pas bien loin, puis d’un autre synopsis, développé celui-ci avec Ugo Bellagamba dans l’espoir de l’écrire ensemble, cela n’alla pas non plus bien loin. Je n’ai rien gardé des apports d’Ugo, sciemment, afin de développer mes propres idées, ambiances, inspirations d’alors, si longuement infusées. L’autre roman était né d’un essai de début d’ébauche de collaboration avec Jean-Jacques Girardot puis d’une commande de Sébastien Hayez, les deux inaboutis. Deux éditeurs l’ont déjà refusé, les jeux sont faits, rien ne va plus.

#2853

Faut-il donc l’avouer ? Le goût sucré de Bordeaux pour moi, de manière intime, ce n’est pas le cannelé : peut-être n’était-il pas encore si présent, dans le mitan des années quatre-vingt qui me vit effectuer mes études ? La pieuvre Baillardran n’avait-elle pas alors encore poussé tous ses tentacules ? Ou bien, plus sûrement, mes finances d’étudiant crevard me firent-elles éviter sans même y songer friandise si coûteuse ? Toujours est-il que je ne découvris le charme du cannelé qu’un peu plus tard et que, dans mes souvenirs, c’est une viennoiserie bien plus ordinaire — non pas cette chocolatine dont je découvris avec ébahissement que ces sauvages de Lyonnais la nommaient « pain au chocolat » —, juste le pain au raisin, vous savez, cet escargot, qui fit durant trois années mon alimentation principale et dont pourtant je ne me suis pas écœuré, une dame dans le hall minable de l’IUT en vendait d’énormes pour vil prix, et ce goût m’est resté, délice encore, souvenir et gourmandise.

#2852

Bonheur tout neuf : la couverture par Melchior Ascaride de mon prochain roman. Chez Moltinus, collection « Les Saisons de l’étrange », comme les précédents, mais cette fois il s’agit d’un roman — écrit l’été dernier d’après deux synopsis et un début… fort anciens —, pas d’un recueil de nouvelles. L’aboutissement de pas mal de choses dans mon imaginaire personnel. Arcologie, aérotrain, morts étranges… et une Menace sur l’Empire.

#2851

Ces dernières matinées, si j’ouvre la porte sur la rue et fais quelques pas dans mon fond d’impasse, afin de rapporter par exemple ma poubelle et celle de ma vieille voisine, mademoiselle Rose, sur le gris du trottoir se dessine une dentelle noire qui zigzague tout au long des façades : le dessin laqué de la fonte des brefs stalactites de givre formés à la faveur de ces quelques nuits flirtant avec le zéro. Le jardin ne s’en ressent guère et, sous le ciel si peu lumineux, en capuche grise, la masse indisciplinée des capucines, près de la fenêtre, comme celle du grand fuchsia, au-dessus de l’herbe hirsute, forment toujours leurs îlots de verdure têtue. Les feuilles d’acanthe se vernissent d’humidité tandis que, dans la rue, la buée sur les carrosseries confèrent aux voitures noires un effet mat, comme un surcroît de réel. Dans la froidure humide flotte une odeur de fumée.