#2495

Terminant un gros article sur l’illustrateur Edmund Dulac, je déniche une anecdote amusante : en mars 1917, il est mandaté par le Ghost Club, un groupe qui étudie les phénomènes parapsychologiques. En compagnie de ses amis William B. Yeats et Edward Dennison Ross (ce dernier était le directeur de l’école d’études orientales), il est chargé de rendre compte sur une machine supposée relayée des messages de l’autre monde, inventée par un médium nommé David Calder Wilson. La machine de Wilson est censée concentrer la « force odylique », la substance fluidique porteuse de messages entre l’au-delà et notre monde : lorsqu’elle est mise en marche, une incompréhensible logorrhée en sort. Yeats sortira de la séance convaincu que Wilson est bien un vrai médium, Ross estimera que le tout est une supercherie, et Dulac notera que monsieur Wilson n’a nullement prouvé que sa machine en est bien une, c’est-à-dire un instrument effectivement capable de produire ces sons en dehors de la présence de son manipulateur ; que les sons produits diffèrent des autres séances de médiums ; ou bien alors, il ne s’agit pas d’une machine scientifique, auquel cas il faudrait soumettre Wilson a une série de tests pour le voir produire ces phénomènes remarquables quoique non scientifiques.

#2494

Sur une plage, une légère dépression dans le sable humide attirait mon regard, je me penchais dessus, pour voir en émerger une minuscule tête de cheval parfaitement formée, noire, puis le corps de ce petit animal, qui se hissait hors du sable en appuyant sur ses pattes avant : la fin de son corps s’enroulait noir et luisant comme une anguille. J’avais l’imprudence d’avancer un doigt et la bestiole de me mordre jusqu’au sang. En secouant la main pour le décrocher, j’ai envoyé l’animal valdinguer dans les vagues.

Ce sont des saloperies, les bébés kelpies ; foutus chevaux carnivores !

#2492

Vers les 5h ce matin je m’éveillai vaguement et, constatant qu’aux tambourins de la pluie avait succédé un grand silence nocturne, je me dis que le tumulte annoncé ne semblait plus d’actualité… innocent que j’étais, justement ce silence figurait le légendaire calme avant la tempête et bientôt souffles et gifles d’emplir l’espace d’un raffut formidable. Dans mon demi sommeil je songeais à un navire dans la tourmente et d’ailleurs, le mat, pardon, la poutre centrale du toit, crissait un peu. Au vrai matin je n’ai constaté aucun dégât au jardin ni dans les alentours, mais tout le jour resta grisâtre, maussade, verni d’humidité, du genre qui ne vous remonte pas le moral. Un samedi morne échoué sur le rivage, mol et mouillé.

#2491

L’intime. C’est quelque chose, un sentiment de proximité au point de faire presque partie de moi, qu’en dépit de mon amour pour la science-fiction et la fantasy, je n’ai jamais ressenti non pas pour mais par ces genres. Parce qu’en SF, l’intime et le purement psychologique ont longtemps été absents des stratégies narratives ; la SF c’était le grand spectacle, avec des personnages comme simple vecteurs. Bien sûr, Cristal qui songe, Des fleurs pour Algernon… mais ces romans-là n’arrivèrent pas à point ou ne me touchèrent pas si fort qu’ils me construisirent. Et puis encore, la SF était seulement hétéro, ce qui ne pouvait me parler intimement. La fantasy arriva un peu trop tard, pour moi. Le roman policier ? Ma proximité de ce genre fut « pantoufle » plutôt que construction intime : puzzles et divertissements, éléments de langage, même (les plaisanteries de Fantômette et les réparties d’Archie Goodwin), importants pour bâtir mon imaginaire mais pas pour m’expliquer le monde au niveau émotionnel. Finalement, lorsque je me retourne sur mon passé de lecteur, lorsque j’interroge mon ressenti de lectures, mes attachements intimes sont principalement avec deux galaxies de vies : Christopher Isherwood et Armistead Maupin. Du premier, j’ai tout lu et relu, jusqu’aux journaux, plusieurs biographies, des documentaires, des essais sur, et même étendu mon intérêt à tout son entourage — Upward, Spender, Auden, Day Lewis, et leurs œuvres, et leurs vies, jusqu’à Denny Fouts (l’homme entretenu…) ou Benjamin Britten, sans parler des films Cabaret et  A Single Man. Isherwood et les siens, qui m’ont tant appris sur le sentiment homosexuel, que j’ai tant suivis qu’ils me semblent appartenir à ma vie d’une certaine manière. Du deuxième, j’ai également l’impression d’en connaître intimement tous les personnages, et jusqu’à leurs visages et leurs voix puisqu’ils furent incarnés sur le petit écran. Lues et relues les « Chroniques de San Francisco », et j’attends maintenant avec grand intérêt l’autobio annoncée de Maupin.

Ce rapport intimiste à certaines œuvres, je l’ai également avec une poignée d’albums qui me sont « culte », un rapport à quelques musiques singulières qui ne s’explique que par des conditions de découverte ou d’écoute dans ma jeunesse : The Hissing of Summer Lawns de Joni Mitchell, Ommadawn de Mike Oldfield, To Keep from Crying de Comus, Lord of the Ages de Magna Carta, Wind and Wuthering de Genesis, Thick as a Brick de Jethro Tull, le tout premier Supertramp (avec la vilaine rose en pochette)…