#2680

Quand les martinets s’en sont-ils allé ? Je n’ai pas pris garde au soir exact où leurs petits corps sombres n’ont plus tourné au-dessus du quartier, où ont cessés leurs pressants cris lancés comme des flèches. J’ai l’impression confuse que ce soir où les nuages empêchèrent d’admirer l’éclipse de lune fut également celui où les martinets quittèrent mon morceau de ciel, mais je ne saurai en jurer, peut-être avaient-ils désertés les parages un peu auparavant et n’ai-je pas été attentif. Apus apus est reparti. Je regarde pourtant beaucoup les oiseaux : cette pie qui l’autre jour, juchée au coin de la toiture de la maison voisine, toujours vide, fit la démonstration de toutes les capacités de son chant. J’en admire souvent le plumage blanc et noir, les longues rémiges de sa queue, ses  reflets iridescents. Des merles, beaucoup de moineaux, querelleurs. Trois colombes, les ailes claquantes. Une fois j’ai vu passer un rouge-queue dans le jardin de mon voisin Nicolas. Ce matin j’ai repéré dans le mien, au sein du troène, la poitrine jaune d’un verdier, puis l’ai vu filer sous le figuier, les chattes aussi l’avaient vu mais le petit passereau n’était déjà plus là.

#2679

Il faut être attentif, pour n’en pas laisser perdre. Écarter les larges feuilles rugueuses, se baisser un peu, guetter les sphères et leur couleur. Si l’une a pris une belle teinte d’un violet sombre, éventuellement avec un soupçon d’écarlate au niveau de l’attache, alors il convient de la tâter doucement, d’apprécier ce mélange de tension et de souplesse, sous la peau rêche et pégueuse, qui aussitôt diffuse un léger arôme sucré, avant que de la détacher d’une légère torsion.

Je viens de déguster mes trois premières figues de la saison.

#2678

Il y a des fleuves constants, et des fleuves inconstants. Je parle de leur teinte : une fois, faisant visiter à des amis le CAPC, le musée d’art contemporaine de Bordeaux, nous avons ri plusieurs fois. Une première fois devant les escroqueries intellectuelles usuelles d’un certain art contemporain. Une deuxième fois devant l’exposition… du mobilier du musée. Une troisième fois, enfin, devant l’explication par le designeuse de la couleur beige dudit mobilier : il s’agitait selon elle de s’accorder à la teinte de la boue de la Garonne à Bordeaux, spécifiquement échantillonnée. Jaunes, nos rires, forcément, donc ton sur ton. Ah oui, car en effet la Garonne est d’une belle couleur de boue, tellement beige que ses eaux en paraissent épaisses, et parfaitement unies, les poissons dedans doivent n’y pas voir grand-chose (je n’ose pas écrire « n’y voir goutte ») mais au moins n’y sont-ils jamais dépaysés. Tandis que le Rhône, à Lyon ! Il en voit de toutes les couleurs. Croyez-moi si vous le voulez, un crépuscule je le vis même d’un ravissant turquoise presque lumineux. Et après l’on s’étonnera que la pêche y soit interdite, on n’ose imaginer les mutations monstrueuses du poisson du Rhône, ainsi baigné dans tous les rejets chimiques du fatal et puant couloir de Feyzin.

#2676

Poursuite de mes lectures urbano-poétiques, avec ce recueil de souvenirs conseillé par mon archevêque de parrain. Mon propre Bordeaux appartient à deux époques : le milieu des années 80, où j’y fus étudiant, le Bordeaux de suie, et maintenant, pour y vivre, le Bordeaux blond — avec en quelque sorte une troisième époque qui se dessine actuellement, du fait des grandes constructions de Bacalan et d’Euratlantique, qui vont bientôt s’approcher de moi avec le nouveau pont de la Palombe et les bâtiments neufs annoncés dans la rue de la gare à la place de la rangée de gros marronniers, hélas. Ce livre-ci est intéressant en ce qu’il compare ma première époque (ce livre date de 1985) avec une autre, celle des années 50 de l’auteur, le tout dans le même style mauriacien que Suffran. Il qualifie même les chauffeurs de tramway de « wattman », terme oublié que l’on ne trouve plus que dans les vieux romans. C’est désuet, charmant, très emprunt comme il dirait, un peu moisi.