#2777

De mon temps d’étudiant, il y a déjà 35 ans, charbonneux pouvait qualifier tout Bordeaux, aux façades maquillées de suie. En ces jours blonds, le noir d’ombre a reculé, les artères bordelaises d’une digne pâleur n’exhibent plus que rarement une face sombre, des exceptions. Revenant d’une « manif » par les petites rues, j’admire une fois encore une grande demeure abandonnée, que borde une sente presque campagnarde et que camouflent les arbres. Le mystère confus, le temps arrêté et le triste scandale d’une maison sans habitants. Et dans le ciel bleu se dispersent les sillons blancs des avions, le climat, quel climat ?

#2776

Oh tiens, au fil de mes corrections des neuf romans de Renée Dunan que les Moutons électriques vont prochainement rééditer, ce dialogue si délicieusement savanturier… et la conclusion de cet échange, d’une science fort audacieuse !

« Ceci nous donne un des mots du grand secret. Le Thibet doit être évidé à l’intérieur comme un moule à pâtisserie. Il y passe des rivières et il y a des parcs d’élevage. Cela peut nourrir toute une population insoupçonnée des Européens.
– Comment se pourrait-il que ces montagnes soient creuses? demanda Élise.
– Qui le sait ? répondit Le Jarty. Le monde est plein de ces bizarreries-là. On ignore si l’intérieur des monts de chez nous est plein ou non, d’ailleurs. « 

(in La Montagne de diamants : https://www.moutons-electriques.fr/m-a-p-3)

#2775

« Dans l’avenue, c’était le silence trouble des nuits parisiennes. Des autos passaient avec un sourd feulement mécanique. Des tramways laminaient sans hâte leurs rails infinis, luisants sous les arcs électriques. Le ciel était d’un violet fortement rabattu de gris, Romain marchait au hasard. »

Pour tout ce qu’ils ont de très populaire dans l’esprit et la narration, et de rapide dans l’écriture, ces romans de Renée Dunan n’en recèlent pas moins, par moment, de bien belles phrases…

#2773

La situation se présente avec une régularité terrible et d’ailleurs, il me semble probable que j’en ai déjà parlé ici. Toujours est-il que cela m’a encore pris, ce soir : « Que lire ? ». Non que je manque de lecture, fort loin de là, mais que je ne savais sur quoi porter mon choix, mon caprice. Cette fois cependant, une certitude : je n’ai envie que de lire en français, un peu lassé pour le moment de tant lire en langue anglaise. J’en discutais l’autre jour avec un camarade traducteur, qui me confia le même phénomène. J’ai donc lu beaucoup de Simenon, ces temps derniers, mais aussi du Giono, du MacOrlan, du Francis Carco (auteur pour lequel j’ai un fort faible), quelques vieux polars jeunesse (remarquable Marc Soriano, faiblard Pierre Lamblin), deux volumes de plus de la curieuse série d’Hervé Picard au Castor Astral (L’Arcamonde) — tout en maugréant contre leur médiocrité de fabrication et la typographie aberrante de leurs dialogues, mais sinon c’est fort plaisant, étrange, précieux mais pas trop et quoique sans fantastique je remercie Jean-Luc B. de m’avoir orienté vers cela… Enfin bref, ce soir je ne me décidais pas, mais savais tout de même vouloir du français, du style soutenu et du polar… J’essayais un Giono, dont le caractère historique me rebuta — simple question d’humeur, il faudra bien que je les lise, ces Chroniques de la demi brigade que j’ai enfin trouvées il n’y a pas si longtemps à la brocante, moi d’ordinaire si fan de Giono… Et puis un J.L. Sanciaume, style trop plat, et puis, et puis… Ah, enfin : je me suis soudain souvenu avoir lu il y a quelque temps l’un des polars que Greg, le grand bédéaste, avait écrit dans les années 80, j’en ai trois sur les cinq parus. Alors voilà, Greg c’est. Et là aussi, il était bon, ce monsieur, quoiqu’un peu et curieusement décalé, réac pour tout dire : c’est paru à la fin des eighties mais les mentalités, les situations, font encore très seventies ; tandis que la tournure, superbe, est clairement à la Simenon. Sinon, sur la liseuse et en cas d’insomnie (une la nuit dernière) j’ai du british: un Enid Blyton, conseillé par le traducteur déjà évoqué, Pierre-Paul D. (vous comprendrez que je préserve son anonymat), Le Mystère de l’île verteSecret Island puisque je le lis en V.O. Qui débute sur un contexte très rude et évolue en une robinsonnade dont je conçois aisément la séduction pour les enfants d’antan.